Inspirée de la révolution technologique et sociale suscitée par le minitel rose au début des années 1980, cette série en 10 épisodes au charme vintage, diffusée sur OCS à partir d’aujourd’hui, nous a donné envie de remonter aux origines du flirt électronique, pour y voir clair entre mythe et vérité.
Ce que dit la série
Début des années 1980, dans l’amphi défraîchi d’une fac de la banlieue française. Toni (Paul Scarfoglio), étudiant à la tchatche infatigable, présente devant ses camarades sceptiques un exposé sur le minitel, petite boîte noire composée d’un écran et d’un clavier, créée par le ministère des Postes et Télécommunications. Une machine révolutionnaire, qui posera les prémisses du futur Internet, des transmissions dématérialisées, via un système de services en ligne tentaculaire… mais à laquelle personne ne croit encore.
Sauf Tony, donc, qui a flairé les potentiels économiques, sociaux, et surtout érotiques, de cette invention. Avec Stéphanie (Noémie Schmidt) et Simon (Arthur Mazet), il crée la première messagerie rose sur minitel : tels des Cyrano modernes et grivois, ils proposent des conversations sulfureuses à des hommes, tarifées à la minute, par le biais de messageries privées. Propice à la réalisation des fantasmes sexuels individuels en tout anonymat, cet espace de liberté devient très vite le symbole d’une société en quête de désinhibition, incarnée par l’élection de Mitterand en 1981, après une décennie giscardienne traditionaliste.
Pour ce Social Network frenchy, qui emprunte autant au charme des sitcoms eighties qu’au réalisme du Péril Jeune, les créateurs Emmanuel Poulain-Arnaud et Armand Robin se sont librement inspirés de faits réels et d’un jargon geek pointu (attentions aux oreilles, ça parle de terminal actif passif et de mémoire de masse) – ce qui nous a donné envie de nous plonger dans l’histoire vraie, et pas toujours rose, du minitel rose. En cinq questions, remontons aux origines du flirt électronique.
Qui a inventé la première messagerie rose sur minitel ?
À l’origine, le minitel a été inventé pour proposer des services informatifs par le biais du réseau téléphonique – notamment le 3611, annuaire national gratuit. Mais très vite, divers services payants émergent (consultation de la météo, achat de billets de train, site de jeux), regroupés sous le numéro 3615 – dont les messageries roses, qui rencontrent un succès fulgurant, popularisées sous l’expression « Minitel rose ». Claude Baltz, chercheur en sciences de l’information et de la communication, raconte l’invention du Minitel rose dans son livre MSG Gretel : Images de personne (1984).
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Fin 1982, un petit génie de l’informatique, sorcier sur les bords, pirate le service internet du minitel du quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace, nommé GRETEL, pour se connecter et communiquer à plusieurs. Rapidement, GRETEL est envahi par une multitude de dragueurs en ligne – au point que le serveur saute. Les premiers salon de tchat et système de messagerie privée sont nés, notamment grâce au responsable informatique du journal, d’esprit libertin, qui ferma les yeux en ne bloquant pas le serveur. Comme quoi, l’histoire donne toujours raison aux audacieux.
Le minitel rose est-il l’ancêtre des sites de rencontre ?
Un peu de sociologie amoureuse, histoire de vérifier ce que Tinder doit au 3615. Si le minitel rose n’est pas strictement l’équivalent des sites de rencontres d’aujourd’hui (sur lesquels les profils sont plus sophistiqués, et où le but est de se « rencontrer en vrai », contrairement à la messagerie rose où l’échange était purement virtuel et anonyme), il en a préfiguré certains codes. D’après Josiane Jouët, qui a observé sous un angle ethnographique plusieurs messageries afin d’analyser les comportements de ces communautés, l’innovation technique et sociale qu’est le minitel a participé à « l’émergence d’un nouveau protocole de rencontre sur écran, fondé sur une communication interactive et anonyme ».
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Maintenant banalisée, cette pratique a permis à l’époque un affranchissement des conventions sociales, « dans un contexte historique où le primat de l’individu s’imposait, et pas seulement dans le domaine économique, avec l’essor du néolibéralisme », et qui perdure aujourd’hui à travers « l’expressivisme »,« une forme d’individualisme exacerbé, où les individus livraient beaucoup d’eux-mêmes, à travers leurs fantasmes, pas seulement sexuels. » Cependant, certaines mutations montrent que l’héritage du minitel rose a été remplacé par de nouvelles dynamiques. Le brassage social qu’il offrait s’est transformé en un ciblage sélectif, sa pratique transgressive s’est muée en norme majoritaire (1 Français sur 4 s’est déjà inscrit sur une appli), et la communication par les mots, génératrice de fantasmes, a été supplanté par le règne de l’image.
Qui sont Monique, Ulla et autres Aline ?
Dans la série 3615 Monique, Tony a le béguin pour la mère de son coéquipier. Femme au foyer élégante et sensuelle, attentive à l’émancipation érotique de son fils, elle lui inspire le doux nom de sa messagerie rose. Dans la vraie histoire du Minitel Rose, d’autres prénoms ont incarné un archétype de la féminité : 3615 Ulla, 3615 Aline… Mais qui répondait vraiment aux individus qui se connectaient au service ? La plupart du temps, il s’agissait d’hommes, et surtout d’étudiants, qui faisaient ce job en parallèle de leurs études. C’est le cas de Jean-Marie, aujourd’hui journaliste, dont on découvre le témoignage dans cet article de L’Obs.
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Non sans ironie, celui qui a été embauché comme « animatrice » dans les années 1990 se confie sur son « coming out télématique », expliquant comment il faisait « l’hôtesse sur les réseaux », pour des hommes persuadés « de causer avec JFbi21ans ou Jacqueline69 » : « J’ai ainsi pu « discuter » avec beaucoup de vigiles, qui s’ennuyaient, la nuit, mais également avec des cadres supérieurs qui, eux, se connectaient à 6 heures du matin en arrivant au bureau, en passant par des ados-nymphos mal dans leur peau, des mythos, une nana uro qui « polluait » notre forum, un dominateur qui, pensant écrire à une femme et alors que je ne suis ni homo ni sado-maso, avait quand même réussi à me « séduire »… » Être payé pour faire fantasmer des hommes aurait même éveillé sa vocation de « cyberféministe » : « Plus ils se comportaient comme des mufles, plus ils étaient grossiers, goujats ou mal élevés, plus je prenais plaisir à les garder connectés avec moi, histoire de faire grimper leur facture, mais également de résister à l’image qu’ils se faisaient des femmes » explique-t-il.
Les services de 3615 du Minitel Rose appartenaient-il à la presse ?
En 1982, la commercialisation grand public du minitel permit aux entreprises et aux foyers d’accéder entre autre à l’annuaire téléphonique, à la vente par correspondance et à des sites de jeux. Mais l’Etat veut également s’en servir pour moderniser la société, en numérisant les petites annonces, comme l’explique cet article de La Revue des médias. Face à cette informatisation, la presse écrite s’inquiète : cette « Little French Box » sera la tombe des journaux d’antan. Pour calmer le jeu, Valéry Giscard d’Estaing lance en 1984 le système du « Kiosque » (le fameux 3615 payant) dont il réserve le monopole aux seuls éditeurs de presse. Traduction dans le langage commun : n’importe quel journal détenteur d’un numéro de commission paritaire pouvait ouvrir un 36 15, et faire gonfler son chiffre d’affaire via des activités de messagerie rose, au tarif de 1 franc (15 centimes d’euros) la minute, déduit de la facture de téléphone.
Résultat, de grands titres comme Le Nouvel Observateur (36 15 ALINE), Libération (36 15 TURLU) ou Le Parisien se remplissent les poches grâce à ce marché rose. Et plein de gens créent des journaux fantôme afin de monter à leur tour des messageries coquines. Cette archive de l’INA nous dévoile un scandale ô combien plus croustillant : certains se faisaient embaucher par le minitel rose comme animateurs de messagerie érotique pour obtenir la carte de presse et se rendre au Festival de Cannes. Tout ça mérite une enquête à la Spotlight.
Le minitel rose a-t-il fait la fortune de ses pionniers ?
On le rappelle, tous les personnages de la série sont fictionnels (désolé de vous décevoir). Ceci dit, les héros de 36 15 Monique pourraient être les versions jeunes (et plus sympathiques) d’une vraie génération de figures tutélaires du minitel rose, aujourd’hui millionnaires, dont Libération a retracé la généalogie dans cet article. Parmi eux, Xavier Niel, aujourd’hui PDG de Free, surnommé le « petit cochon rose », qui dès ses 16 ans, en 1983, créait des messageries coquines « En prépa, il fait double journée : en cours le jour et sur son ordi la nuit. Ses «à-côtés» lui rapportent, dit-il, «plusieurs dizaines de milliers de francs par mois » détaille Libé. Un Pape du Minitel qui partage beaucoup de caractéristiques avec les héros mercantiles de la série.
Quant à la concurrence qui fait rage pour dominer le marché rose – et qui prend dans la série une tournure plutôt ludique – elle était en réalité bien plus féroce. Louis Roncin, à qui l’on doit le fameux 3615 Ulla, sérieux concurrent de Niel (propriétaire de 3615 ANNU) lui a assigné un procès pour racolage : « Il venait sur mes sites, caché sous un pseudo, et il débauchait mes clients en les invitant à venir sur ses sites à lui » rapporte aussi Libé. Une bataille d’influence digne de la mafia sicilienne, qui pourrait presque inspirer Martin Scorsese pour son prochain film. Malheureusement, cette saga prendra fin à partir de 1996 avec l’essor d’Internet, fournisseur concurrent beaucoup plus rapide et international, accessible via un ordinateur personnel. Tout en préparant le terrain pour le Web, le minitel a aussi signé son déclin progressif, et disparaîtra définitivement en 2012.
3615 Monique, 10 épisodes disponibles depuis le 17 décembre sur OCS
Images : Copyright Mon Voisin Productions : Qui Vive !