Un an après le meurtre à Baton Rouge, en 2016, d’Alton Sterling – un Afro-Américain tué par deux policiers blancs –, Minervini pose sa caméra auprès de la communauté noire de La Nouvelle-Orléans, encore traumatisée par l’affaire. Dans cette éclatante chronique des oubliés, installée au creux de l’été, on croise par exemple les membres des Flaming Arrows (« flèches incandescentes »), tribu héritière d’une tradition ancienne – le jour du mardi gras, des Afro-Américains défilent en costumes d’Indiens pour rendre hommage aux indigènes qui, jadis, ont recueilli des esclaves en fuite. On rencontre aussi Judy, une quinquagénaire à la peau dure qui, au bord de la faillite, doit vendre son bar. Au détour d’une rue, Ronaldo veille sur son petit frère Titus, dans un quartier ennuyeux…
Minervini filme des gens qui, longtemps ghettoïsés, se sentent aujourd’hui menacés par un racisme plus offensif, marqué par les nombreux meurtres d’Afro-Américains par la police ces dernières années, en mettant par exemple en lumière la fièvre contestataire intacte du Black Panther Party – on est embarqués dans ses maraudes auprès des SDF ou ses manifestations pour scander « Black lives matter ». Sa mise en scène spectaculaire fait jaillir la beauté de recoins plus sales (dans une scène, au milieu d’une ruelle malfamée, Judy enlace une toxicomane dont la descente aux enfers fait écho à son histoire) et le caractère fabuleux de ses personnages – son noir et blanc capte le scintillement des perles portées par les Mardi Gras Indians, la chevelure blonde platine de la fière Judy, le rasage précis des cheveux de Ronaldo. Des détails qui symbolisent, à rebours de l’Amérique conservatrice et morne de Trump, un brûlant désir d’exister.
: de Roberto Minervini
Shellac (2 h 03)
Sortie le 5 décembre