Huit ans après le modeste Blind (2015), où la cécité de l’héroïne déréglait son rapport aux autres puis la notion même de réel, Eskil Vogt persiste à vouloir brouiller l’ensemble des repères. Si le spectateur visionne The Innocents avec le C.V. de son auteur en tête, il est possible qu’il reconnaisse certains fantômes de l’œuvre de Joachim Trier (la maladie, la mort, la déréliction). En maîtrisant Stephen King sur le bout des doigts, le curieux décèlera aussi les reflets de l’enfant-monstre, cette créature de fiction au carrefour des pulsions, tour à tour meurtrière et victime, source d’empathie ou d’effroi polymorphe.
Mais rien ne le prépare vraiment au choc à venir devant ce film gorgé d’angoisses à hauteur de quatre gamins désœuvrés – Ida, une fille blonde au sourire carnassier, sa sœur autiste, et deux voisins rencontrés par hasard –, qui s’apprivoisent peu à peu et se retrouvent ensuite pour jouer dehors dans une banlieue norvégienne faussement sage, laquelle semble aspirer les journées en attendant que quelque chose se passe. De fait, quand les enfants se découvrent des pouvoirs hors norme et dangereux, mais dissimulés à leurs parents trop distraits, la banalité des situations se distord et l’imaginaire de chacun se retrouve lardé d’humeurs saisissantes.
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C’est ce même désir d’expérimentations ludiques (comment repousser les limites du jeu et de l’ennui ?) qui guide le geste de Vogt, ici chef d’orchestre à la croisée des genres, funambule dont l’audace, parfois teintée de provoc, laisse deviner la chute sans cesse repoussée. Thriller paranoïaque versant à l’occasion dans le sauvage, faux film de mutants sans effets tape-à-l’œil, duel de psychokinésistes en forêt à la manière d’un western, histoire d’amitiés naïves et toxiques, tout le charme de ce cauchemar amoral réside dans sa lente infusion, délicieuse ciguë qui ne laisse pas indemne.
The Innocents d’Eskil Vogt, Les Bookmakers/Kinovista (1 h 57), sortie le 9 février
Image (c) Les Bookmakers / Kinovista