Conférence : repenser l’indépendance des médias avec Julia Cagé

Ce 7 février à 20 h au mk2 Bibliothèque, l’économiste viendra parler de « Pour une télé libre. Contre Bolloré » (Seuil), un manifeste et un manuel pour repenser les médias, à rebours des stratégies de l’homme d’affaires français.


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Pourquoi Vincent Bolloré représente-t-il selon vous une menace pour l’indépendance de l’information ?

Depuis 2016 avec la prise de contrôle du groupe Canal+ puis celle du groupe Lagardère, Vincent Bolloré achète des médias, impose une idéologie qui tend vers l’extrême droite et pratique une censure, qu’il ne nie même pas, sans jamais être stoppé. À cela s’ajoute une méthode : beaucoup d’« infotainment » et moins d’info, y compris sur CNews, censée en proposer en continu. La raison à cela ? Faire du contenu à bas coût qui génère du clic.

Parce que l’investigation coûte plus cher à produire qu’un débat entre polémistes. Cette force de frappe dans le secteur des médias se double aussi d’une prise de contrôle actionnariale dans le secteur des idées et de l’édition. Pour ne pas le froisser, les éditions Plon, qu’il détient via le groupe Editis, ont renoncé à publier une enquête sur Éric Zemmour, par exemple. Enfin, il investit le monde universitaire en finançant certaines chaires, et donc potentiellement certains travaux de recherche.

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Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il y a d’une part la faiblesse de la régulation en place : la loi sur les médias de 1986 est inadaptée, le CSA n’a pas d’exigence de qualité. Et il y a d’autre part le manque de courage du pouvoir politique. S’attaquer à Bolloré, c’est s’attaquer à un actionnaire très interventionniste qui détient C8, CStar, CNews, Capital, Voici, Gala… ; et c’est le risque de ne plus avoir accès à ces antennes ou de se faire taper dessus par l’une d’entre elles.

Par ailleurs, il s’agit de défendre les journalistes, une profession peu aimée. Cela explique aussi pourquoi le sujet n’est pas ou peu abordé pour les présidentielles. Mais il y a d’autres responsables, les intellectuels notamment. Peu d’entre eux sont partis d’Editis, car c’est aussi important d’être édité par un grand groupe. C’est donc désormais la responsabilité du gouvernement d’introduire des règles pour garantir le pluralisme de l’opinion et l’indépendance des journalistes. Et je refuse qu’on culpabilise les citoyens, les téléspectateurs.

La télévision a-t-elle encore un rôle à jouer dans notre démocratie ?

Oui, et la penser comme un média obsolète est une idée fausse. En France, elle reste la première source d’information. Et ceux qui la regardent sont ceux qui votent le plus. Il y a certes les jeunes, avec les réseaux sociaux et les contenus sur Internet, mais, en matière d’audience, ils sont aussi les moins informés – et donc les moins politisés. Les élections vont donc encore se jouer sur les plateaux de la « télé à papa ». Et si l’on veut garantir le libre accès de l’ensemble des citoyens à une information produite par des journalistes en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des actionnaires privés sans basculer dans un modèle américain à la Fox News, qui a largement contribué à l’élection de Donald Trump, ou un modèle italien à la Silvio Berlusconi, il faut agir maintenant.

« Repenser l’indépendance des médias avec Julia Cagé » le 7 février à 20 h au mk2 Bibliothèque

Pour une télé libre. Contre Bolloré de Julia Cagé (Seuil, 96 p., 4,50 €)