Alone Together de Bradley Bell et Pablo Jones-Soler
Pendant le confinement, la popstar britannique Charli XCX s’est lancée dans la création d’un album. Mais pas toute seule : sur les réseaux sociaux, elle a demandé à ses fans de l’aider à construire étape par étape ce nouvel opus. Un ouvrage commun rendu possible par le numérique, omniprésent, personnage à part entière de ce documentaire qui témoigne des difficultés causées par la pandémie sur l’industrie musicale.
Passant des concerts exaltés avec une foule en liesse qui l’acclame au sentiment de déprime et de solitude qui surgit dans l’intimité d’un domicile qu’elle ne peut plus quitter, Charli XCX tente de se renouveler et d’embarquer dans son projet des fans hyperconnectés, toujours à l’heure pour les rendez-vous live organisés sur Instagram par leur idole, leur seule source d’évasion. Par écrans interposés, entre deux vagues d’émojis cœur et la fabrication maison de vidéos clips délirants avec son copain, on se retrouve complètement plongés dans le processus créatif de l’artiste, dont la facilité à se montrer à nu ne cesse d’étonner. Exaltant.
FAME Festival 2020 : s’il ne fallait retenir que 3 films
Living with imperfection d’Antoine Polin
« Lorsque je regarde un film, j’entends de la musique, même si le son est coupé. » Assis dans son lit, pas loin d’un clavier qui traîne, le pianiste américain Ran Blake, figure majeure du Third stream – courant musical qui cherche à concilier jazz et classique – parle de son amour pour le 7e art. Il faut dire qu’il semble lui-même tout droit sorti d’un polar à la James Ellroy.
Lorsqu’un contrechamp nous dévoile son appartement de Boston, on découvre un mur tapissé de DVD, et une télé où passe Deux mains, la nuit de Robert Siodmack (1946), un classique de la RKO sur un tueur en série qui sévit dans une petite ville de campagne. Après avoir commenté le thème en trois notes de Roy Webb, Ran Blake se confie sur sa cinéphilie fétichiste et monomaniaque. Sans doute aime-t-il le cinéma car c’est l’art de l’obsession par excellence.
Ce n’est pas pour rien qu’il adore ce film noir de Siodmack, qui met en scène la pulsion scopique d’un criminel épiant ses victimes par le trou de serrure. L’œil est d’ailleurs au centre de la séquence qu’il analyse – drôle de mise en abyme que ce voyeur qui en observe un autre à l’écran. A rebours du biopic traditionnel, le documentaire d’Antoine Polin fait le portrait intime, presque trivial, d’un boulimique des images, d’un obsédé visuel. Il faut le voir pour cette approche surprenante, mais aussi pour écouter ce génie de la partition parler de Bernard Herrmann et Leith Stevens avec passion, et entendre au passage les Beatles se faire qualifier de « musique mièvre de la Nouvelle Angleterre ».
Nos 3 concerts filmés préférés
In My Town : Karen Dalton, de Richard Peete et Robert Yapkowitz
De Greenwich Village, le berceau du folk dans les années 1950, on connaît surtout Joan Baez, Joni Mitchell et Bob Dylan. Derrière ces arbres, symboles d’une contre-culture enragée et protestataire, se cache une forêt d’artistes moins connus, dont Karen Dalton. On fait connaissance avec elle dans ce docu qui rassemble les rares traces de cette chanteuse mystérieuse au ton bluesy. Tels des enquêteurs minutieux, Richard Peete et Robert Yapkowirz ont réuni des archives qui ne visent pas à l’exhaustivité, mais s’offrent plutôt comme des fragments, où on pourrait lire en filigrane le destin accidenté de Karen Dalton.
Pour remédier à l’absence de traces, les réalisateurs ont réuni des témoignages de ses proches, pour éclairer son anticonformisme, érigé en mode de vie, qui l’empêcha de tomber les griffes de l’industrie, mais aussi de rencontrer le succès. La violence de son parcours – après deux enregistrements d’album, elle disparaît des radars pour mener une existence nomade – rejaillit d’autant plus que le film s’évertue à faire entendre sa dans voix cristalline, aussi vulnérable que forte. Malgré sa forme conventionnelle, le documentaire brille par sa capacité à faire parler le tourment intérieur de Karen Dalton, en convoquant des extraits de carnets, des bribes de poèmes qui s’affichent à l’écran.
Mirano 80 de Luc Jabon, Thomas et Purcaro Decaro
Le Mirano, c’était the place to be dans les années 1980. L’équivalent du Palace parisien mais à Bruxelles, avec une énorme dose de créativité et d’audace. Grâce à de précieux témoignages (des managers, artistes, décorateurs, barmans, une attachante Dame pipi et on en passe) et une mise en scène à la fois nostalgique et festive, le documentaire retrace la naissance de ce club mythique, ancien cinéma majestueux des années 1930 devenu peu à peu le centre nerveux et bouillonnant de la jeunesse. S’appuyant sur une très belle documentation (énormément de photos, fascinantes, et quelques films), Mirano 80 chronique aussi une évolution plus sombre, entre l’arrivée du SIDA et les fossés qui viendront se creuser entre les générations – notamment lors de l’explosion de la house dans le paysage musical des années 1990. Des événements d’une importance loin d’être équivalente mais qui, ajoutés les uns aux autres, signeront la fin du Mirano, qui n’a pas pris à temps le train de la modernisation et mercantilisation de la nuit. Une douce utopie dont on rêverait qu’elle soit aujourd’hui ressuscitée. Le Mirano est mort, vive le Mirano.
The Rumba Kings d’Alan Brain
Plus qu’un discours ou des images, l’indépendance africaine a une bande-son : celle de la rumba. Dans les années 1940, avant que le Congo se libère de l’oppression coloniale belge, la révolte s’organise par la musique. C’est cette effervescence artistique et politique qu’Alan Brain, journaliste péruvien, documente, en nous replongeant dans l’âge d’or d’un genre entré au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2021. A travers des images d’archive, le réalisateur reconstitue, montage vif à l’appui, le bouillonnement de Léopoldville, capitale du Congo qui a aujourd’hui récupéré son ancien nom, Kinshasa. Dans cette ville, épicentre de la rumba, les foules se réunissaient dans la rue ou les ngandas (restaurants à vocation sociale) pour écouter la radio.
Brain part aussi à la rencontre d’historiens, de spécialistes, qui retracent l’histoire de l’African Jazz, l’un des premiers orchestres congolais qui créa en 1960 l’Indépendance Cha Cha, hymne anticolonialiste et premier tube panafricain. A partir de l’histoire de cette chanson interprétée par Grand Kallé, le documentaire explore les mutations d’un genre musical qui synthétisa sons afro-cubains, jazz et notes plus électriques, pour évoluer vers une forme de plus en plus complexe. Sans oublier de faire la part belle à des solos endiablés de grands noms de la rumba : Franco Luambo, ou encore Kuka Mathieu.