« Playlist » : le moodboard de Nine Antico

L’autrice de BD nous a envoyé 9 images qui l’inspirent, entre BD alternatives, romances teen et rock énervé.


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« C’est un des films qui m’a fait rentrer dans Rohmer [Nine Antico a illustré le coffret consacré au cinéaste édité par Potemkine en 2013, ndlr.], car la porte n’était pas forcément facile à ouvrir. Il y a tous les niveaux : de la profondeur, de la dérision, de l’humour, de la mélancolie, tout ce que j’essaye de retranscrire dans mes BD. Je sais que c’était un scénario de Marie Rivière [l’actrice principale du film, ndlr.], très inspiré de son vécu à elle. Son personnage a une façon de se questionner, de parler de soi, dont je me suis inspirée pour Playlist. »

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« C’est l’œuvre qui m’a amenée à la BD. Je l’ai découverte via l’adaptation cinématographique de Terry Zwigoff. J’ai été marquée par l’image des deux filles qui marchent dans la rue côte à côte : je l’ai reprise pour la couverture de ma BD Coney Island Baby (2010), inspirée des vies de Linda Lovelace et Bettie Page. J’ai remarqué que, souvent dans mes histoires, il y avait des duos comme celui formé par Sophie (Sara Forestier) et Julia (Laetitia Dosch) dans Playlist. Comme si mes personnages avaient besoin du regard de quelqu’un pour exister, se repositionner, s’encourager, parfois au contraire s’enfoncer. »

« De ce film, je retiens la manière de parler du fantasme adolescent, du drame, de l’intensité des amours à cette période – même si les personnages de Playlist sont plus adulescents, autour de la trentaine. Dans le film de Mulligan, le personnage de Reese Witherspoon vit son premier émoi amoureux avec un garçon. C’est très sensoriel, c’est l’été, elle écoute Elvis sur son lit, elle se languit. Ensuite, le garçon la quitte pour sa grande sœur, plus proche de lui en âge… J’avais été sciée que le réalisateur comprenne autant le poids de la dégringolade que ça peut être, la tristesse, la virulence d’un sentiment amoureux non-partagé à cet âge-là. »

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« Bill Owens a photographié des familles dans des banlieues pavillonnaires, des gens qu’il connaissait. Il avait surtout ce truc dingue, de les laisser légender les photos. Ça donnait vraiment un décalage de fou, comme avec cette photo de famille et leur propre interprétation en sous-titre : « We’re really happy. Our kids are healthy, we eat good food, and we have a really nice home.  » ( » Nous sommes très heureux. Nos enfants sont en bonne santé, nous mangeons de bons produits, et nous avons une très jolie maison. « ) 

Ça devient absurde, ça décale tout. Dans mes dessins, j’ai repris ce principe : le poids d’une phrase vient donner une autre idée de l’image. C’est aussi le procédé de la fin du film : on réentend des phrases dites par les garçons rencontrés par l’héroïne, mais elles sont soudain sorties de leur contexte. Ça leur redonne un coup de projecteur. »

Image : Bill Owens, We’re really happy. Our kids are healthy, we eat good food, and we have a really nice home, 1972 © 2021 Bill Owens

« On connaît bien l’œuvre de Robert Crumb, mais beaucoup moins celle de sa femme Aline Kominsky Crumb, pourtant elle a fait des fanzines à la même époque que lui. C’est de l’humour super décalé, féministe, juif. Et c’est ahurissant tellement c’est avant-gardiste pour l’époque ! L’avant-garde, ça peut être de tout temps. Tout ça pour dire que mon film, je l’ai voulu lui-même un peu hors temps, je ne le trouve pas forcément générationnel. Enfin il y a des éléments qui marquent l’époque – ça parle peut-être plus d’orgasmes que dans des comédies réalisées il y a 20 ans – mais la liberté de ton, la volonté d’indépendance, elle n’est pas restreinte aux années 2020. »

Crédit image de couverture : © Hélène Giansily

« C’est une BD que j’ai lue il y a une quinzaine d’années. Moi, je suis incapable de parler de musique, et j’admire les gens qui y arrivent, les critiques, les chroniqueurs. Charles, il parvient de façon très personnelle et humble à retranscrire le fantasme, la magie de ce qu’une chanson véhicule…

La musique, c’est mon premier moteur pour m’émanciper, je me suis ouverte au monde avec. Il y avait ce revival folk rock dans les années 2000, qui donnait direct envie de s’intéresser aux années 1960-70-80. Ça m’a donné pour la première fois envie de savoir qui il y avait derrière les musiciens. C’est une façon d’être, un style de vie – dans le film ça renvoie aussi au fait que Sophie oriente ses choix, dit qui elle est au monde, avec la musique. »

« J’adore les girls bands américains comme les Shangri-La’s ou les Ronettes. Il n’y a pas beaucoup d’équivalents français, mais Les Calamités en font partie. Dans ces groupes-là, on raconte avec justesse la chape de plomb que peut représenter l’atmosphère du lycée, de cet âge-là, le drame des amours. J’aime bien quand on réussit à transmettre la densité de quelque chose qui n’est pas grave, ou le contraire. »

« C’est un morceau que j’écoutais enfant. Je regardais beaucoup la télé et ça passait dans l’émission Sébastien c’est fou ! Dans ma toute première BD, Le Goût du Paradis (2008), je raconte que le passais en faisant s’embrasser mes Barbie. J’avais un seul Ken et tandis je faisais monter la tension dans l’évolution des bisous, les Barbie se battaient pour lui. C’est par l’autobiographie que j’ai commencé à raconter des choses. Travailler sur des souvenirs comme celui-là, ça m’a permis de prendre confiance en tant qu’autrice. »

« Le concept de cette BD est hyper drôle. En 1995, dans une station essence sur la route entre Las Vegas et San Francisco, l’autrice a retrouvé le journal intime d’une fille qui raconte son adolescence dans les années 1980. Elle l’a adapté en comics, et c’est vraiment dingue comme on rentre dans son intimité… Dans Playlist, il y a bien des choses que j’ai vécues, mais elles sont refictionnalisées. Par exemple, la phrase qu’un des mecs dit à Sophia, « J’ai pas dit je t’aime, j’ai dit j’éteins « , ça m’est arrivé avec un ex-copain mais pas comme ça. J’ai dit « j’éteins » et lui, amoureusement, m’a répondu « moi aussi « .

: Playlist de Nine Antico (KMBO, 1h28), sortie le 2 juin