« La jeune fille et l’araignée » : déclaration d’indépendance

Deuxième et brillant volet d’une trilogie sur la mécanique des relations humaines, « La Jeune Fille et l’Araignée » prend le prétexte de la fin d’une colocation de récents trentenaires pour chorégraphier une fascinante tragicomédie minimaliste.


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Lisa quitte l’appartement qu’elle partageait avec Markus et Mara. Cette dernière, qui est aussi l’héroïne du film, semble en vouloir à la déserteuse, sans qu’on sache très bien de quelle nature est sa relation avec Lisa, amicale ou amoureuse. D’emblée, avec son premier plan – celui d’un plan, justement, architectural –, La Jeune Fille et l’Araignée fait de l’organisation de l’espace son sujet : celui d’un morcellement net et précis en pièces et fonctions distinctes, cloisonnement rassurant qui va être remis en question de manière ludique et sophistiquée.

Le terrain de jeu de ce quasi-huis clos est simplement constitué de deux appartements : l’ancienne colocation de Lisa et son nouveau logement. Ce qui ne nous empêche pas d’être vite désorientés car, pour saisir le cœur de cette odyssée banale et minimaliste, les frères Ramon et Silvan Zürcher prennent soin de brouiller les pistes en cassant la linéarité de la mise en scène : les personnages sont ainsi décadrés, isolés dans des plans toujours fixes, et comme surpris par les individus ou les animaux surgissant dans le cadre à la manière d’une balle rebondissante à la trajectoire imprévisible.

Autre exemple : lors des dialogues, au lieu de faire l’usage habituel des champs-contrechamps, clairement binaires, avec le champ sur celui qui parle et le contrechamp sur celui qui écoute, les cinéastes suisses intercalent souvent un plan sur un troisième personnage de spectateur plus ou moins clandestin. Ces triangulations engendrent le mystère (qui sont ces personnages les uns pour les autres ?) et le tempo (syncopé) si singulier du film, constitué de blocs de dialogues rapides entrecoupés de plans sur des objets vus dans la scène précédente. Ces natures mortes portent en elles la discrète mélancolie de ce film d’allure distanciée : à l’instar de son héroïne faussement statique, le récit d’émancipation cache bien son jeu.

3 QUESTIONS À RAMON ZÜRCHER

Pourquoi avoir voulu raconter le bouleversement que peut provoquer un déménagement ?

L’inspiration a un côté autobiographique. Silvan, mon frère jumeau, a commencé à écrire le scénario pendant une période où on logeait ensemble, dans une colocation à Berlin. J’avais alors le désir de déménager pour habiter seul. L’histoire de Mara et de Lisa découle de cet événement. Puis c’est devenu une fiction, avec des personnages.

Pourquoi en avoir fait des personnages féminins ?

C’est difficile de répondre, mais dans tous mes films, courts métrages compris, le personnage central est féminin. Au cinéma, j’apprécie plus le voyage avec des rôles féminins, en particulier avec des actrices comme Isabelle Huppert ou Léa Seydoux. Je suis un mec, mais mon « genre invisible » est très féminin. Quand je ne me censure pas, j’écris au féminin.

Chat, chien, araignée… Comment intégrez-vous ces animaux imprévisibles à votre mise en scène très chorégraphiée ?

Il y avait des surprises, des improvisations. Avec l’araignée, le producteur craignait qu’on doive faire des effets spéciaux numériques. Mais, après un très grand nombre de prises, ça a marché. L’actrice qui joue Lisa souffrait d’arachnophobie, mais elle a réussi à surpasser sa peur. La scène est comme une danse.

La Jeune Fille et l’Araignée de Ramon et Silvan Zürcher, Wayna Pitch (1 h 38), sortie le 20 octobre

Image (c) Copyright Beauvoir Films