« Pleasure » : dans les coulisses de l’industrie du porno

La Suédoise Ninja Thyberg décrypte dans ce premier long métrage à la fois fin et frontal les mécanismes à l’œuvre dans l’industrie du porno contemporain, en tirant le portrait nuancé d’une jeune actrice voulant à tout prix percer dans le milieu.


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Arrivée de Suède telle une tornade, Bella, 20 ans, pose ses valises à Los Angeles. Sous le soleil californien, elle démarre les auditions avec une idée en tête : devenir une star du . Des vidéos prises au smartphone aux productions main­stream en passant par les tournages féministes, des positions sexuelles courantes aux pratiques ultra hard, les différentes strates de son évolution, montées les unes après les autres avec une grande fluidité, permettent de décortiquer en profondeur l’industrie du porno contemporain. C’est la principale force de ce premier long métrage de Ninja Thyberg, qui avait déjà réalisé un court du même nom en 2013 – une base ayant inspiré ce Pleasure bis.

Émanation d’un important processus de recherche et d’une collaboration étroite avec Sofia Kappel (parfaite interprète de l’ambitieuse Bella, pour ses grands débuts à l’écran), le film parvient à être à la fois pédago, captivant et contrasté. S’il ne prend pas de pincettes avec les dérives qui pourrissent une industrie qui, pour faire de l’argent, ne recule jamais devant l’objectivation raciste ou sexiste des corps, et si Bella est poussée dans de difficiles retranchements moraux, le film, saturé de couleurs acidulées et d’écrans, ne résume pas ce monde à sa face sombre.

Avec la même énergie, il montre par exemple comment la sororité entre les actrices permet de résister, ou bien les précautions prises par des équipes de tournage attentives à la question du consentement. On pense à une séquence très subtile où, pour son prochain film, une réalisatrice de porno féministe voulant mettre en scène la pratique SM du bondage apprend à Bella toute une signalétique lui permettant d’arrêter l’expérience quand elle le souhaite. Entourée de bienveillance, la jeune actrice s’abandonne progressivement à la caméra. À l’image, Bella est attachée, mais jamais soumise à la volonté de l’acteur qui partage sa scène. Une immersion fascinante dans les dessous du X.

Pleasure de Ninja Thyberg, The Jokers (1 h 45), sortie le 20 octobre

Image (c) Copyright The Jokers

3Q À NINJA THYBERG 

 

À quand remonte votre intérêt pour l’industrie du porno ? À quel âge avez-vous vu votre premier film X ?

Je devais avoir 16 ans quand j’ai vu pour la première fois un film porno. Ce qui m’a le plus frappée en le regardant, c’est l’inégalité dans la manière de représenter les hommes et les femmes. Par la suite, j’ai intégré un collectif féministe, écrit un mémoire à la fac sur le sujet… ça a été un long cheminement. 

Comment avez-vous travaillé avec Sofia Kappel ?

Quand je l’ai rencontrée, j’ai senti qu’elle avait la bonne énergie, mais j’ai voulu m’assurer qu’elle était assez mature pour un rôle aussi exigeant. On est parties en repérage ensemble à L.A., et c’est elle qui a choisi les autres acteurs. Elle m’a aussi beaucoup aidée à remanier le scénario, et ça m’a bien servi parce que j’avais presque l’impression d’être trop vieille pour adopter la perspective d’un personnage aussi jeune.

Dans le film, Bella reprend les codes de domination masculine qu’elle-même subit pourtant. Comment l’expliquer ?

C’était important pour moi de ne pas faire d’elle qu’une victime de ce système. Dans la scène où elle porte un gode-ceinture, elle adopte un male gaze. La masculinité toxique, dont on commence à parler, peut aussi venir de certaines femmes qui reproduisent un comportement de prédateur sexuel. Ça n’a rien de biologique.

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