Géraldine Sarratia, quelle cinéphile es-tu ?

D’habitude, c’est elle qui interroge avec finesse des personnalités sur leurs goûts et leurs bagages culturels, dans deux podcasts qu’elle produit et anime : « Le goût de M » et « Dans le genre ». Aujourd’hui, c’est au tour de la journaliste, qui a adapté et mis en scène – avec le collectif A definir dans un futur proche – l’essai féministe « Sorcières » de Mona Chollet au Théâtre de l’Atelier, de se prêter à l’exercice de notre questionnaire cinéphile.


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3 actrices qui vous ensorcellent ?

Je peux être ensorcelée de plein de manières différentes. Dans ce qui m’aimante chez un acteur ou une actrice, il y a ce mélange trouble entre identification et désir, entre reconnaissance et attraction. Je dirais donc à la fois Lauren Bacall pour son regard animal, sa voix, que Charlotte Gainsbourg ; je la trouve aussi captivante dans Nymphomaniac de Lars von Trier que dans Les Passagers de la Nuit de , ou dans la série En Thérapie. J’aime le mélange de fragilité et d’impudeur, la complexité des émotions communiquées, le fait qu’elle ne soit pas dans la performance. Un peu comme Vicky Krieps dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Les actrices très techniques, brillantes, me captivent moins, même si je peux adorer Meryl Streep. Plus récemment, j’ai beaucoup aimé Alicia Vikander dans la série d’Olivier Assayas, Irma Vep, brillante et hyper ensorcelante. Dans un tout autre registre, Monica Vitti dans Le Désert rouge de Michelangelo Antonioni, pour son visage.

Vicky Krieps : « J’aime le désordre, j’aime trouver ma place dans le mouvement, m’adapter »

3 romcom qui réinventent l’amour ?

Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, c’est de la romcom super intelligente, audacieuse, avec une liberté dingue. J’adore aussi les films d’Howard Hawks type La Dame du vendredi aussi. Ces films sont porteur d’une subversion, et c’est ça qui rend la séduction si excitante, bouleversante. Côté français, j’avais beaucoup aimé 20 ans d’écart de David Moreau, avec Virginie Efira et Pierre Niney. Les stéréotypes y sont posés pour mieux être déconstruits. C’était savoureux, cru dans les dialogues.

3 films qui ont forgé votre féminisme ?

Sans toit ni loi d’Agnès Varda, pour le parcours de femme méga raide, cette fille SDF incarnée par Sandrine Bonnaire. Les films qui ont forgé mon féminisme ne sont pas forcément des films qui portent ouvertement des discours militants. Ici, ce qui engagé, c’est la démarche, la façon de faire du cinéma d’Agnès Varda, avec peu de moyens, une petite équipe de tournage, son regard. En documentaire, j’ai récemment beaucoup aimé Delphine et Carole, insoumuses, de Callisto NcNulty sur Delphine Seyrig – d’ailleurs je rajoute tous les films avec Delphine Seyrig. Un film qui est un contre-exemple mais a nourri mon regard : Boulevard de la mort de Quentin Tarantino. Quand je l’ai vu, j’ai trouvé ça hyper jouissif, je suis sortie « empowermentée » par toutes ces filles badass. En le revoyant, j’y ai surtout vu un trip fétichiste, le cinéaste prenant manifestement beaucoup de plaisir dans la première partie à sadiser et défoncer les filles.. La vague #MeToo, l’époque, les débats qui ont recommencé à émerger autour du regard sont passés par là. Tout ça pour vous dire qu’il y a parfois des faux amis.

Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos, caméra au poing

3 films qui questionnent brillamment le male gaze ?

Tous les films d’Alain Guiraudie. Surtout Rester vertical. Les hommes, les femmes, les vieux, les corps et les sexualités sont regardées avec désir, humanité. J’aime aussi la façon dont il filme les femmes, la scène de l’accouchement est assez bouleversante. Chez Rebecca Zlotowski, j’adore les jeux de regards, comment elle se joue des codes du male gaze : dans Les Enfants des autres, Roschdy Zem peut être érotisé sous la douche, Virginie Efira peut être comique, nue, sur le balcon, sans être un objet de désir. Les films de Jane Campion et Sweetie [Genevieve Lemon y joue une femme anticonformiste, venue semer la pagaille dans la vie de sa sœur névrosée, Karen Colston, ndlr] en particulier ont également été très importants pour moi.

Rebecca Zlotowski : « Je suis très libérale sur les questions sentimentales et familiales. »

3 films méconnus qui méritent d’être vus ?

Maîtresse de Barbet Schroeder, avec Bulle Ogier en maîtresse SM et Gérard Depardieu, ultra beau. Le Lien d’Ingmar Bergman, découvert grâce à Olivier Père sur Arte [critique de cinéma et directeur d’Arte France, ndlr]. Un Bergman magnifique, un peu occulté, sur la passion, son leurre, sa fin et le vide qu’elle laisse. Le troisième sera un roman, signé Denis Belloc, Néons, mais je les aime tous. Belloc est contemporain de Guibert, mais a été un peu oublié. Ses livres très autobiographiques, ils parlent de l’homosexualité, de toxicomanie, de prostitution, de paumés qui zonent au Drugstore, dans le Paris du début des années 1980. La langue est âpre, crue, hyper belle.

3 personnages queer flamboyants ?

On les trouve plutôt du côté des séries me semble-t-il. Omar Little dans The Wire. Il a le charisme, l’élégance morale, le style : longue gabardine, gilet pare-balles, fusil. Un personnage de gangster homosexuel assumé, hyper novateur. Jules dans Euphoria, une série dont la première saison explore fidèlement le côté destructeur de l’adolescence, ses addictions, la dureté de ce qu’on peut y traverser. Jules est un personnage qui a transitionné, mais ceci n’est pas remis en cause par les autres. Sa transidentité est intégrée dès le départ dans la narration. Et c’est intéressant, parce que pendant très longtemps, le traitement du changement de genre était forcément le sujet principal, ou alors c’était tabou et tragique. Et puis si l’on parle de queer et de flamboyance, je dirais l’écrivain Guillaume Dustan. J’aime particulièrement Je sors ce soir, court récit d’une nuit dans un club gay.

3 scènes musicales qui vous font danser ?

Dans Les nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer, la scène où Pascale Ogier et Christian Vadim dansent sur Elli&Jacno, c’est toujours aussi charmant et parfait. Le début de La Nuit nous appartient de James Gray, lorsqu’on découvre Eva Mendes allongée sur le canapé du bureau au-dessus de la boîte de nuit, avec Heart of Glass de Blondie – torride. Et Mean Streets, je ne résiste pas quand Martin Scorsese met les Rolling Stones à fond.