À la mort de leur père, Guillaume (Arieh Worthalter), un flic à la carrière qui décolle, refile la gestion du bowling familial à son demi-frère, Armand (Achille Reggiani), un videur flottant et inquiétant. Tout indique que le récit se déroule dans une petite ville française, mais laquelle ? Aucune raison de le préciser ; ce qui compte dans Bowling Saturne, c’est justement la dimension générique des personnages et des situations. Voire la prédictibilité du récit : en voyant Armand, dès les premières minutes, se masturber de rage sous la pluie après avoir essuyé un râteau de la part d’un groupe de filles, on sait qu’il va commettre le pire.
Ses airs de pauvre garçon blessé et décérébré ne trompent pas : au quart du film, il commet un acte ahurissant. La scène est filmée longuement et frontalement, dans toute sa sauvagerie, et c’est insupportable à regarder – une mise en scène de la violence qui, comme dans La Nuit du 12 de Dominik Moll, sorti en juillet, pose beaucoup question (lire ci-dessous notre décryptage sur la représentation des féminicides à l’écran).
Pour Armand, c’est la banalité. Comme les amis chasseurs de son défunt père qui squattent le bowling et qu’il n’aime pourtant pas, il sait comment repérer, traquer, abattre une proie et en jouir. Il sait comment se débarrasser du corps, il ne panique pas. C’est évidemment son frère Guillaume qui va enquêter, sans le savoir (contrairement à nous), sur lui.
Par le passé, Patricia Mazuy nous avait déjà soufflés en étudiant des personnages masculins toxiques (notamment dans l’excellent teen movie trash, Travolta et moi, en 1994 (lire le dernier archéologue du ciné ci-dessous), et le troublant Paul Sanchez est revenu ! en 2018, variation libre sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès). Mais jamais la réalisatrice n’avait montré si crument la violence des hommes, ici réduits à leurs pulsions primaires, sans cerveau, pris dans un magma d’instincts et d’émotions que ni eux ni les femmes qui les entourent ne cherchent plus à démêler.
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Tout est donc tragiquement banal et simple dans Bowling Saturne : les hommes tuent les femmes et les animaux, les femmes essayent de protéger ce qu’elles peuvent (à travers un personnage d’activiste militant pour les droits des animaux incarnée par une nouvelle actrice magnétique, Y Lan Lucas). Noir comme la nuit qui nimbe le film, le constat est tragique et sans appel. Et vu la trace que laisse Bowling Saturne dans les yeux et au creux du ventre, on se dit qu’il faut peut-être en passer par là, montrer si frontalement des hommes toucher le fond sans se relever, pour que leurs congénères et la société tout entière comprennent enfin.
Bowling Saturne de Patricia Mazuy, Paname Distribution (1h54), sortie le 26 octobre
Image : © Ex Nihilo – Les Films du fleuve