Décidément inspiré par les figures de sa vie intime – L’Été de Giacomo (2012) suivait le fils sourd de son meilleur ami au gré d’un été vaporeux –, Alessandro Comodin s’attache cette fois à son oncle, que l’on découvre in medias res, dans la pénombre de son luxuriant jardin, affairé à répliquer à un voisin se plaignant d’une invasion végétale. La scène, tant par son cadre travaillé que par sa mise en scène peu naturaliste, donne l’impression d’un songe et s’émancipe de la forme documentaire annoncée.
. Au matin, on retrouve le même Gigi, sémillant officier de police quinquagénaire, au volant de sa voiture pour une ronde tranquille dans son village du Frioul. Car, dans Les Aventures de Gigi la Loi, nul ne fonce à toute berzingue sur les routes de Vénétie pour attraper un potentiel malfrat, même si une affaire de suicide occupe partiellement notre héros ; il s’agit plutôt de profiter de la douceur des échanges quotidiens avec les habitants du bourg et de célébrer une existence simple.
Et pour le réalisateur d’observer avec minutie et malice ce « tonton à la Tati » dont l’attitude bonhomme provoque l’enthousiasme partout où il passe, malgré les gentilles railleries de ses collègues qui lui trouvent des méthodes peu orthodoxes – d’où l’évocateur surnom de « Gigi la Loi ». Son quotidien tranquille reflète une certaine facette de l’Italie, dépeuplée de ses habitants partis à la ville, encore bercée de traditions désuètes mais emprunte d’une poésie tout enchanteresse. Quand Gigi rencontre une nouvelle collègue par récepteurs interposés, s’engage pour cette âme d’une autre époque un flirt doux, dans lequel se glisse la promesse d’un risotto aux fleurs.
Alessandro Comodin semble chercher dans ces fulgurances et dans le calme de sa campagne d’enfance la matrice originelle de son cinéma, nimbé de révérences à Pier Paolo Pasolini et d’amour pour les légendes populaires italiennes. Les péripéties de cet oncle existent-elles seulement vraiment ? Le cinéaste ne cherche-t-il pas l’allégorie d’une Italie d’antan dont les souvenirs, peu à peu, lui échappent ? Dans les formes qu’il se trouve, le film ne cesse de brouiller les pistes – jusqu’à une scène finale confondante de réalisme – et confirme la maestria du réalisateur italien, qui irradie un amour contagieux pour la slow life.
3 QUESTIONS À ALESSANDRO COMODIN
Qui est Gigi ? Pourquoi lui consacrez-vous un film ?
Gigi a toujours été l’oncle sympa, adulte mais pas trop ; il venait chez moi en faisant des roues arrière à mobylette, puis m’emmenait pêcher. J’adore son attachement irrationnel, tendre et poétique, aux arbres. Derrière cette façade de policier dandy de campagne, il est d’une tendresse et d’une gentillesse rares. J’ai voulu faire un film avec un homme qui, dans toutes ses contradictions et ses obsessions, est fondamentalement bon.
Comment s’est déroulée l’écriture de ce « documentaire » ?
Après plusieurs années d’écriture du scénario, j’ai mis celui-ci à l’épreuve de la réalité de Gigi. Il devait être non seulement plausible, mais aussi cohérent avec notre personnage, le principe de vérité étant beaucoup plus important que la mise en scène. Nous avons veillé à ne jamais complètement séparer la vie réelle du tournage ; c’est seulement ainsi que j’ai pu filmer de façon documentaire, avec très peu de prises pour chaque scène.
Cette forme hybride est aussi une manière de convoquer souvenirs et références…
Le film m’a permis de redevenir l’enfant que j’ai été, celui qui, après avoir joué dans le jardin merveilleux de Gigi, regardait un film dans lequel jouait Totò… C’est ça, faire des films, à mon sens : prendre les spectateurs par la main, leur présenter mon tonton chéri, se laisser traverser par les tragédies de la vie, rigoler et, pourquoi pas, tomber amoureux…
Les Aventures de Gigi la Loi d’Alessandro Comodin, Shellac (1 h 42), sortie le 26 octobre