EXPO · Rosa Bonheur, esprit animal

Vaches, chiens, chevaux, lions… Elle tirait le portrait des animaux comme personne. Pour son bicentenaire, Rosa Bonheur est à l’honneur au musée d’Orsay, où l’on peut découvrir environ deux cents de ses œuvres. Retour sur le parcours de cette artiste au style naturaliste, décidément moderne dans sa relation au vivant comme dans sa manière de mener sa vie.


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On se laisse happer par le regard des animaux qu’elle a peints, comme ce cerf qui nous fixe au détour d’une clairière (Le Roi de la forêt, 1878), ou ce chien attaché à un mur (Barbaro après la chasse, vers 1858). Rosa Bonheur, que l’on représente souvent grâce à son portrait peint par Édouard-Louis Dubufe dans lequel elle regarde au loin, cheveux mi-longs, le bras posé sur une vache, a su capter quelque chose d’unique chez ses modèles, qu’elle peignait comme s’ils étaient humains. Née en 1822 à Bordeaux dans une famille d’artistes, formée par son père, le peintre et dessinateur Raymond Bonheur, Marie-Rosalie dite Rosa savait, à 12 ans déjà, qu’elle voulait devenir portraitiste animale.

À 20 ans, elle fait ses armes dans les fermes et les abattoirs du Roule, qu’elle peut fréquenter grâce à une permission de travestissement dispensée par la préfecture l’autorisant à porter le pantalon, alors interdit aux femmes. Dès 1841, elle participe au Salon de peinture et de sculpture, à Paris, puis en 1848 y remporte la médaille d’or – elle a alors 26 ans – avec Bœufs et taureaux, race du Cantal, scène d’alpage qui dépeint des bovins à la robe chatoyante. Un gros coup, qui lui vaut une commande de l’État pour réaliser un tableau agraire, Labourage nivernais (1849), une scène agricole qui donne à voir des bœufs au travail – et toute la pénibilité de celui-ci – et dans laquelle les figures humaines, dont on ne distingue pas le visage, s’effacent.

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À cette époque, Rosa Bonheur est loin d’être la seule portraitiste animale. Elle se démarque toutefois par la diversité de ses sujets animaux, quand ses contemporains se consacrent souvent à une seule espèce. Mais elle est surtout l’une des rares femmes artistes au succès si retentissant. Indépendante financièrement, elle vit bien de son art, ce qui lui permet d’acheter le château de By, à Thomery, à l’orée de la forêt de Fontainebleau, où elle s’installe en 1860, à 38 ans, et dont elle fait une véritable arche de Noé – elle y accueille deux cents pensionnaires animaux, des mouflons, des cerfs, des biches, des isards, des sangliers, des moutons, des chevaux, des bœufs et même des lions, auxquels s’ajoutent des poules, des lapins et des chiens.

Une configuration idéale pour observer les bêtes et les peindre dans leur environnement, qui lui permet de développer son regard si empathique sur eux. C’est au château de By, où l’on peut aujourd’hui visiter son atelier resté intact, qu’elle est décorée de la Légion d’honneur en 1865 par l’impératrice Eugénie, devenant la première femme artiste à recevoir cette distinction.

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Pionnière en son temps, défendant des idées et un mode vie féministe, Rosa Bonheur reste aujourd’hui encore une figure forte d’émancipation et une icône queer. Jamais mariée, elle a vécu de longues années avec sa compagne Nathalie Micas, rencontrée à l’adolescence, jusqu’à la mort de cette dernière en 1889, au château de By. Elle termine sa vie aux côtés de la portraitiste américaine Anna Klumpke, à qui elle lègue ses biens. Perçue comme classique en raison de son académisme pictural, qui a peut-être causé son oubli partiel après sa mort en 1899, Rosa Bonheur n’a pourtant cessé de casser les codes. À l’heure de la crise écologique, qui invite à reconsidérer notre relation au vivant, son regard jamais surplombant envers les animaux ne pourrait être plus d’actualité.

Rosa Bonheur (1822-1899), du 18 octobre au 15 janvier au musée d’Orsay