« As Bestas » de Rodrigo Sorogoyen : terreur à la campagne

Dans ce thriller d’une tension folle, Denis Ménochet et Marina Foïs font face à la haine de deux frères qui considèrent ces étrangers venus chercher un peu de paix comme la cause de leur vie miséreuse.


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Ce film a reçu le César 2022 du meilleur film étranger

Il suffit de quelques mots et des silences pesants de ces paysans aux visages burinés pour faire monter la tension dès les premières minutes. Antoine et Olga (Denis Ménochet et Marina Foïs), couple de Français venu s’installer en Galice, sont ici en territoire hostile. Une terre âpre, rongée par la pauvreté de ses habitants, qui ont tôt fait de désigner l’étranger comme ennemi. « Quand on s’en va, en Espagne, on dit au revoir », lance à Antoine d’un regard haineux l’aîné des frères Anta. Ces deux-là vouent une haine profonde à ce couple discret qui ne demande rien d’autre que de faire pousser ses légumes et de restaurer de vieilles bâtisses pour repeupler la région. Son tort ? S’être opposé à l’installation d’éoliennes qui auraient pu rapporter un petit pécule à la population locale.

Denis Ménochet : « J’ai un côté très labrador ! »

Dans une ambiance suffocante, on suit les tentatives d’intimidation alcoolisées des deux frères sur cette femme et son mari, dont la détermination à rester n’a d’égale que l’imposante carrure d’un Denis Ménochet à la fois bourru et diplomate. Il a beau tenter de parlementer, son espagnol n’est jamais assez bon pour Xan, dont on comprend progressivement les raisons qui le poussent à haïr autant. Avec le talent déjà à l’œuvre dans Madre et El reino, Rodrigo Sorogoyen applique à ce drame social les codes du thriller, dans un déferlement d’une violence d’abord sourde puis physique, qui n’est pas sans rappeler l’exil en Cornouailles de Dustin Hoffman dans Les Chiens de paille de Sam Peckinpah.

Le réa­lisateur espagnol y greffe une habile réflexion sur la justice. Et sur le pouvoir de l’image à faire jaillir ou non la vérité, via les vaines tentatives d’Antoine pour filmer en caméra cachée les menaces des deux frères. Dans le second mouvement, Marina Foïs impressionne dans la quête obstinée de son personnage pour continuer à vivre dans cet univers toxique. Le dialogue avec sa fille, venue la rejoindre pour lui faire entendre raison, vire irrémédiablement à l’affrontement. Olga est devenue une étrangère aux yeux de ses proches. Comme si sa détermination s’était progressivement muée en une nouvelle forme d’aliénation.

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TROIS QUESTIONS À RODRIGO SOROGOYEN

Antoine essaie de discuter avec les deux hommes qui le harcèlent, en vain. La tension ne cesse de monter, jusqu’à la violence physique, comme si c’était la seule façon de se faire respecter…

Cette attitude suscite uniquement la peur, émotion que ressent d’ailleurs le spectateur. C’est tout le contraire du respect, qui ne peut se gagner que par l’écoute et le dialogue. À condition bien sûr que la haine ne soit pas trop forte.

Olga refuse que son mari filme les menaces des frères Anta, ce qui semble pourtant la seule solution pour les arrêter. Pourquoi ?

Pour elle, l’utilisation de la caméra est une provocation, un acte violent. C’est tout le contraire d’une tentative de dialogue, d’une démarche pacifique. Elle ne veut pas que son mari rentre dans ce jeu qu’elle considère comme infantile.

Pourquoi avez-vous ce désir de faire se rencontrer les cultures espagnole et française, ce qui était déjà le cas dans votre précédent film, Madre ?

Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, ce que nos sociétés de plus en plus refermées sur 
elles-mêmes semblent avoir oublié. La France, c’est un pays que je sens très proche de moi, dans tous les sens du terme, et que j’admire. Cette collaboration [le film est une coproduction hispano-française, ndlr] est également une façon d’améliorer mon travail.

As bestas de Rodrigo Sorogoyen, Le Pacte (2 h 17), sortie le 20 juillet

Image (c) Lucia Faraig