« A pas aveugles » de Christophe Cognet : l’image manquante

Christophe Cognet poursuit son exploration documentaire des vestiges de la Shoah, enquêtant ici sur des photographies prises de manière clandestine dans les camps nazis.


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Que faire des images qui nous manquent ? Le cinéma n’a cessé de tourner autour de la question. La fiction s’est souvent retrouvée impuissante, incapable de nous restituer quelque chose du réel, de son poids tragique, sans que la tentative de reconstitution ne se révèle obscène. C’est en empruntant les chemins de traverse qu’offre justement le réel que le cinéma documentaire, lui, a pu regarder l’Holocauste, filmer ses stigmates, ses victimes, ses lieux d’extermination, ces « paysages tranquilles » transformés en lieu de l’horreur. « Puisque ces hommes et ces femmes se sont acharnés à nous transmettre ces images, il nous faut les regarder. » C’est ce pacte que nous propose À pas aveugles.

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Pour son nouveau documentaire, après Parce que j’étais peintre, qui s’intéressait aux peintures réalisées clandestinement dans les camps nazis, Christophe Cognet a récolté les photographies prises par six prisonniers et prisonnières des camps de concentration et d’extermination. Plutôt que de nous mettre face à l’évidence insupportable de ces documents, le cinéaste choisit de conduire son film sur les voies d’une enquête, de joindre à la fixité de ces images le mouvement d’une recherche, et avec elle celui d’un dispositif de cinéma. Se glissant dans la peau d’un investigateur, Cognet, accompagné par des chercheuses et chercheurs, épie ces images volées à la recherche du moindre indice, avant de se rendre sur les lieux où elles ont été prises. Retrouver l’emplacement exact, la posture du corps au moment de la photographie, l’angle de vue adopté devient alors l’obsession du film, l’énigme à résoudre. Pour ce faire, Cognet superpose les clichés, tirés pour l’occasion sur des plaques transparentes, aux lieux tels qu’ils sont devenus, c’est-à-dire des lieux de mémoire arpentés par des visiteurs.

C’est comme si le film, par le corps de ses interprètes vivants, de ces passeurs animés, redonnait vie aux disparus, présence, humanité. La mise en scène de soi devient alors la mise en scène de l’autre et la simple expérience d’un corps qui se déplace dans un champ d’herbes fanées, une expérience partageable par toutes et tous dans la matérialité concrète d’un geste éternellement identique. Les fantômes sont partout dans À pas aveugles, ils cohabitent, et, plus encore que leur présence, c’est leurs regards que le film parvient à ressusciter.

À pas aveugles de Christophe Cognet, Survivance (1 h 49), sortie le 8 mars