De la vie de Valeria Bruni-Tedeschi, nous pensions avoir tout vu. Son dernier film, Les Estivants, donnait même le sentiment qu’elle tournait, disons-le, un peu en rond dans sa veine autofictionnelle. Nous nous étions gravement trompés. Les Amandiers s’ouvre sur un concours d’entrée. De jeunes comédiens insolents et gauches semblent jouer leur vie, tomato soup versé sur le nez en guise de faux sang. Ça déborde, ça parle trop fort, ils sont insupportables. Et puis d’un coup, sur un parvis moche, devant la feuille des résultats, nous prend l’envie folle d’en être nous aussi, de voir notre nom, même gribouillé, rajouté à cette liste, et de vivre cette aventure-là, éphémère et inoubliable, avec eux.
Valeria Bruni Tedeschi : « Pour mon père, Chéreau, c’était un mythe ; pour moi, c’était personne »
Le film nous a emportés. Les mots sont les seuls remparts qui nous protègent du gouffre, dira le metteur en scène Pierre Romans, ici joué par Micha Lescot. Alors la troupe arrache des instants d’éternité, se jette à corps perdus dans Platonov sous l’œil maladivement exigeant de Patrice Chéreau (Louis Garrel). Ils font l’amour, montrent leurs fesses, font des mômes, brûlent des feux rouges. La vie et le théâtre se mêlent, les fantômes rôdent, la drogue aussi. On joue sans filet, on vit sans filet, c’était ça l’école de Chéreau : un jeu viscéral, vertigineux, un jeu dangereux. Il faut savoir que le théâtre de Nanterre était dans les années 1980 l’épicentre de l’Europe, son cœur battant. C’était bien plus qu’un théâtre, c’était un lieu d’avant-garde et d’utopie libertaire.
« Les Amandiers » de Valeria Bruni-Tedeschi : qu’en pensent les critiques sur Twitter
Valeria Bruni-Tedeschi a fait partie de ceux qui « en étaient » (dans le film, son rôle est joué par la jeune Nadia Tereszkiewicz) et sur les conseils avisés de son ami le réalisateur Thierry de Peretti, elle a décidé de nous en livrer ses archives imaginaires. Les Amandiers est tout à la fois un film de troupe mythique, l’histoire d’un amour de jeunesse incandescent et tragique, la mise en abîme de Platonov et le récit impressionniste d’une époque où l’on se croyait invincibles, avant d’être frappée en plein cœur par le Sida. Le film va et vient avec urgence et désinvolture entre ces dimensions et nous livre, en creux, une réflexion profonde sur le jeu d’acteur. C’est terrassant. Inoubliable. On aimerait que cela dure toujours.
Images (c) Ad Vitam
Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, Ad Vitam (2 h 06), sortie le 16 novembre