On pourrait comparer le cinéma d’auteur chinois contemporain au système solaire. Au milieu, l’astre Jia Zhang-ke, et autour, des planètes dont la trajectoire suivrait plus ou moins fidèlement son programme d’envol timide vers le fantastique. Dans ce décor, le cinéma de Hu Bo serait une lune qui chute pour s’écraser sur la terre ferme du réel. Chez lui, nul décollage pour la féerie. Bien au contraire. Dans An Elephant Sitting Still, quel que soit leur âge, les personnages semblent lourds du poids de toute une vie. Ils sont comme cet éléphant impassible qui donne son titre au film : indifférents à tout, condamnés à tourner en rond dans leur enclos de misère sociale et affective.
Nous sommes au nord de la Chine, dans les faubourgs pauvres d’une métropole anonyme, et, malgré la mort accidentelle d’un lycéen qui les relie tous, les quatre protagonistes de ce récit choral (deux adolescents, un voyou et un retraité) ne s’étonnent plus de rien. « Tu finiras vendeur à la sauvette », dit un prof à son élève de 17 ans. Ici, nous montre Hu Bo, tout est écrit d’avance, et chacun sait qu’aucune éclaircie ne l’attend sous le ciel poisseux de cette journée et de cette ville qui ressemblent à toutes les autres.
La force du film est de rendre compte de cet engourdissement intégral au moyen d’un filmage souple, jamais abrupt, comme si la caméra ondoyait entre les personnages à la manière d’un serpent constricteur qui resserrerait peu à peu son étreinte. Et si le récit laisse finalement s’échapper deux ados et un retraité à Manzhouli, pour aller voir ce mystérieux éléphant qui ne bougerait jamais, c’est pour les abandonner en chemin, sur la route de leurs espoirs sans doute vains. Les envies d’ailleurs ne manquent pas, nous raconte Hu Bo, mais il faudra un peu plus que du fantastique ou une pincée d’exotisme pour tirer la Chine de son immense paralysie.