LA SEXTAPE · « Voyages en Italie », quand le manque de désir est plus visible au soleil

Sorti en mars, le dernier film de Sophie Letourneur, « Voyages en Italie », nous emporte en Sicile pour une variation autour de la conjugalité et du désir, en écho au classique de Rossellini.


550c155e 7db6 444d 9a2e 4c5c4b4ab3db voyagesenitalie

Le couple que Sophie Letourneur forme à l’écran avec Philippe Katerine tente de raviver la flamme de leur passion avec une escapade romantique au soleil. Ils se hâtent de cocher toutes les cases de l’amour fou version Instagram, mais le désir est absent. Le titre, bien sûr, évoque le souvenir lointain du film de Roberto Rossellini – à une lettre près. Les deux films suivent les aventures de couples dont la relation révèle sa distance en terres de romantisme idéalisé et de fantômes. Sur l’affiche de Voyages en Italie, Philippe Katerine, en bord de cadre, photographie avec nonchalance Sophie Letourneur, placée au centre de l’image. Vêtue d’une robe noire, elle pose en s’ennuyant ferme devant une statue d’Icare couché sur le flanc, un peu ridicule. Sophie ignore superbement le zizi en bronze oxydé de la statue. Derrière elle, des ruines. En gros et en rouge, le titre, comme une injonction au bonheur, qui surplombe cette scène de la vie conjugale ordinaire.

Sophie Letourneur : « Je suis en recherche de fusion permanente. »9ddc803b 4778 4043 b3be 0604bb48fe2a capturede28099c3a9cran2023 04 24c3a0142047

Cette affiche dialogue avec une image du film de Rossellini, et qui aurait pu en être l’affiche. Rossellini filme Ingrid Bergman – son épouse –, en noir elle aussi, écrasée par un décor antique de musée, levant les yeux vers une statue d’Hercule qui occupe une grande partie du cadre. Dans un double mouvement, la statue, dont le sexe, invisible pour les spectateurs, est offert à la seule vue de l’actrice, lui cache, au centre du cadre, les fruits volés au jardin des Hespérides qu’elle tient dans sa main. Un homme, une femme, une statue : deux variations autour du mythe de la chute, deux images sous-tendues par un couple réel. Rossellini et Bergman dans l’une, Letourneur et ses souvenirs de voyage rejoués dans l’autre. L’absence de désir est nue au soleil, alors que reste-t-il ? Faut-il rompre ou combattre ? Quelle est la nature du lien qui nous unit après des années ?

« Voyages en Italie » de Sophie Letourneur : un road-trip conjugal doux-amer

Chez Letourneur, on se bat avec les mots. Et ce sont eux qui permettent de finir cul nu après une nuit d’amour débridé. Pas la quête d’extraordinaire, ni celle de saisir le souvenir parfait, iPhone en main, symptomatique de notre époque, non : les mots échangés, parfois rabâchés, dans une tentative d’aller vers l’autre et ainsi de sublimer la chute. La beauté de la conjugalité se situe exactement là, dans ce combat héroïque désespéré contre l’érosion du désir. Le film de Rossellini se terminait d’ailleurs par le surgissement d’un « Je t’aime » inattendu. En dialoguant dans l’intimité du lit conjugal, les personnages de Letourneur deviennent des héros modernes qui revisitent leur propre mythologie pour se désirer.