« Beau is Afraid » d’Ari Aster : Allô maman bobo

Un fils tourmenté règle son Œdipe (ou pas) dans ce trip cauchemardesque orchestré par Ari Aster (Hérédité, Midsommar). Un film déroutant et névrotique, où résonnent, sur une partition plus ludique que d’habitude, les grandes obsessions du réalisateur.


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Il faut entrer dans Beau is Afraid comme on irait chez le psy pour la première fois : sans appréhension, en pleine conscience que l’issue de l’expérience brassera davantage de questions que de révélations. Justement, le héros d’Ari Aster « consulte » lui aussi, et c’est lors d’une séance thérapeutique que l’on fait sa connaissance – même s’il s’agit plutôt d’une deuxième rencontre, puisqu’une séquence liminaire, placée sous le signe du chaos et du liquide amniotique (on n’en dira pas plus), nous l’a déjà douloureusement introduit. 

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Pour quel motif Beau (Joaquin Phoenix, grand enfant au regard hagard, prisonnier d’un corps adulte) a-t-il besoin de docteur Freud ? Sa maman tyrannique (Patti Lupone), qui ne l’a jamais laissé grandir, l’attend pour fêter l’anniversaire de la mort de son paternel, survenue le jour de la conception de Beau. Œdipe, quand tu nous tiens. Sauf que le cosmos entier semble ligué pour que Beau n’arrive pas à bon port : des junkies pyromanes envahissent son appart, un couple endeuillé de sa progéniture le kidnappe…  

NOIR C’EST NOIR

Dès lors, le film prend la forme d’un voyage kafkaïen, sans destination, métaphore d’une impossibilité à regarder au fond de soi, à régler ses mommy issues. Ce canevas psychanalytique franchement ringard est supplanté par l’inventivité boulimique, presque éreintante, de la mise en scène. Il y a d’abord le parti pris radical d’une focalisation interne : on ne quittera jamais l’esprit torturé de Beau, au point de se demander si cet enfer n’est pas que le fruit de son délire. Cette immersion en apnée fonctionne particulièrement bien dans le premier segment du film (découpé en 4 actes), vortex paranoïaque qui évoque After Hours de Martin Scorsese. La nervosité du montage, le mixage sonore qui transforme le moindre bruit en acouphène, les match cut et zooms à gogo creusent l’anxiété existentielle d’un personnage incapable de rejoindre – bien plus que sa mère – le monde entier.  

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Plus le film s’impose dans un débordement de détails visuels impossibles à mémoriser, plus il se dérobe, s’affirme dans sa nature métamorphe. Comme un cauchemar, il s’arrête pour mieux renaître, reprendre sa litanie sous une nouvelle forme. Ainsi, le deuxième segment semble décliner, sur le mode d’une parodie de sitcom, et avec les stigmates burlesques d’un Jacques Tati, l’idée qui hante déjà la première partie : Beau n’a sa place nulle part. Son corps voûté, maladroit, est trop grand pour se fondre dans le pavillon de banlieue de cette famille de la middle class américaine qui le recueille, semblable à une prison pimpée en maison de poupée. Sous les bibelots et l’odeur de naphtaline, la bizarrerie pointe, à travers une figure elle aussi désaxée : le fils survivant de la famille, joué par un Denis Ménochet flanqué d’une hache.

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FAMILLE, JE VOUS HAIS

On retrouve, comme dans Hérédité, mais sur un mode loufoque et pseudo inoffensif, une peur viscérale de la cellule familiale, terreau pourri où germent toutes les dégénérescences. Quant aux deux derniers actes, Ari Aster prendra un malin plaisir à y détourner les codes du récit picaresque et du thriller vénéneux pour dévoiler à Beau ce qu’aurait pu être sa vie libérée du joug maternel, avec une amertume inattendue. L’ensemble, à défaut d’être organique, ressemble à un monstre à quatre têtes, indiscipliné et retors. Beau is Afraid est un film maladivement confus, impoli, culoté au point d’assumer une narration inconfortable, une forme impure, si profondément immergée dans l’esprit de son personnage qu’elle en oublie celui de son spectateur. Il est étonnant d’apprendre que Beau is Afraid est le premier film qu’a écrit Ari Aster, bien avant Hérédité et Midsommar – car il ne cherche, contrairement à beaucoup d’œuvres de jeunesse, ni à plaire, ni à susciter l’empathie envers son personnage. Et c’est sans doute cette désaffection qui rend le calvaire de Beau si proche de l’absurdité de notre époque.  

Beau is Afraid d’Ari Aster, 2h58, ARP Sélection, sortie le 26 avril

Images (c) A24

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