« Burning Days » d’Emin Alper : un film aussi brûlant que fascinant

[CRITIQUE] Film noir maîtrisé de bout en bout, le quatrième long métrage d’Emin Alper s’attaque avec vigueur à la corruption et au conservatisme de la Turquie actuelle.


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Il est des films qui, dès leurs premières minutes, vous font basculer dans un autre monde. Qui parviennent, en quelques secondes, à éclipser le réel pour imposer le leur, merveilleusement saisissant. Burning Days est de ceux-là. En une image, celle d’un homme et d’une femme au bord d’un gouffre en plein désert, habillée d’une musique dissonante, le réalisateur turc Emin Alper impose une atmosphère troublante, qui s’alourdit encore lorsque surgissent des pick-ups. Dans la petite ville de Yaniklar, en Anatolie, on a l’habitude de pourchasser le sanglier en voiture dans les rues.

Les anciens ont la gâchette facile, les plus jeunes se prêtent au jeu, galvanisés par le sang laissé par le cadavre de la bête traîné dans les rues. Seulement voilà, le nouveau procureur, Emre, ne l’entend pas ainsi. Fraîchement arrivé d’Istanbul, il n’hésite pas à convoquer le fils du maire et son ami, les deux instigateurs de la chasse, pour leur rappeler qu’il est interdit de faire rugir leurs carabines en pleine ville. Mais il est dangereux de chercher à bousculer le désordre établi des institutions locales, surtout à la veille des élections…

Emin Alper parvient, dans ce beau film noir, à instiller autant de tension poisseuse dans un dîner que dans une course-poursuite nocturne. Le danger est partout, dans les maisons biscornues envahies par les rats comme aux abords des lacs du désert environnant, dans la moindre poignée de main ou le début d’un regard. La bourgade (fictive) de Yaniklar devient le miroir de la Turquie toute entière, déchirée entre ses envies de modernité, qu’incarne le procureur bien décidé à assainir la politique locale, et son conservatisme homophobe et sexiste, soutenu par une corruption endémique.

Mais Burning Days se garde de tout manichéisme. Emre (excellent Selahattin Paşalı) a beau avoir les meilleures intentions du monde, il se révèle aussi lâche et manipulateur. Emin Alper clôt son film comme il l’ouvre, avec une séquence aussi sublime qu’angoissante, qui sonne comme un avertissement : il n’en faut jamais beaucoup, en Turquie comme ailleurs, pour que le populisme rampant fasse replonger tout un village dans la violence la plus primitive.

Burning Days d’Emin Alper, Memento (2 h 08), sortie le 26 avril

Images (c) Memento Distribution