« Pornomelancolia » de Manuel Abramovich : confessions d’une star du porno

[CRITIQUE] Sublime portrait fantasmé de l’acteur porno Lalo Santos, Pornomelancolia de l’Argentin Manuel Abramovich sonde sa dépression sans jamais tirer de conclusion sur les travailleurs du sexe, comme fasciné par l’opacité de son personnage.


cb1fcf7c b7f7 4227 9843 ff0a6eaba938 pornomecc81lancolia2

Le premier plan de ce film entre documentaire et fiction a quelque chose de déchirant, qui nous place tout de suite dans une forte empathie pour Lalo Santos. Son corps se reflète dans une vitre de magasin. L’acteur attend on ne sait quoi tandis que son regard se perd dans le vide, puis tout à coup il éclate en sanglots.

La suite de Pornomelancolia emprunte un ton bien plus clinique en suivant le quotidien de Lalo en tant que sex-influenceur ou acteur sur des tournages de pornos gay, dans des scènes mécaniques répétées jusqu’au vertige, totalement désérotisées. 

Il n’empêche, ce premier plan noyé de larmes, on l’a en tête comme quelque chose de lancinant, qui nous pique tout du long, se rappelle à nous comme un secret douloureux que l’on partage avec Lalo. Car Pornomelancolia n’est heureusement pas ce film à thèse un peu simpliste qui viendrait condamner le porno ou le travail du sexe en dépeignant la tristesse des personnes qui l’exercent. 

Si tant est que le film dénonce quelque chose, ce serait d’ailleurs peut-être plus le capitalisme numérique, qui entraîne le héros dans une perpétuelle autoreprésentation sur les réseaux sociaux, qui l’amène aussi à travailler de manière répétée et intensive, se fatiguant dans des cadences extrêmes, mettant son propre corps à rude épreuve. Et encore, cette possible intention critique est à nuancer, Lalo semblant aussi trouver son compte sur les réseaux grâce à la bienveillance de ses fans. Il semble aussi trouver le porno plus fun et valorisant que le travail à la chaîne en usine qui a l’air de lui peser au début du film. Manuel Abramovich dépeint d’ailleurs la communauté des acteurs comme une épaule, un soutien, notamment lorsque Lalo fait son coming out séropositif.

Pornomelancolia est plus complexe et s’attache plutôt à explorer ce qu’il y a d’hermétique, d’abyssal dans la dépression. Le visage de Lalo étant toujours fermé, cette tristesse ne se manifeste franchement qu’à quelques reprises, dans des moments où son corps offert continuellement résiste. Sur le tournage d’un porno, tandis qu’il prend un autre acteur, celui-ci lui dit d’arrêter parce qu’il a mal, mais le réalisateur lui dit de continuer, l’intimant au viol. Abramovich observe alors Lalo se briser. Il y a dans ses yeux quelque chose d’épouvanté, de tremblant, de rageur. Comme si sa blessure apparaissait soudain à vif.

Pornomelancolia de Manuel Abramovich, Épicentre Films (1 h 34), sortie le 21 juin