Critique : « La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz » de Luis Buñuel

La période mexicaine du cinéaste espagnol Luis Buñuel a donné lieu à des œuvres magistrales dans lesquelles un imaginaire diabolique se confond à la réalité. Parmi elles, « La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz », qui ressort ce 27 avril dans une version restaurée.


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À l’hôpital, une infirmière se défenestre après avoir été menacée par Archibald (Ernesto Alonso), un homme séduisant aux apparences très bourgeoises. Celui-ci est convoqué par un commissaire de police. Il se souvient alors de tous les meurtres qu’il pense avoir commis…

En 1955, Luis Buñuel réalise ce conte cruel se déroulant dans le milieu de la haute bourgeoisie au Mexique. En débutant le récit par une résolution – Archibald avoue ses crimes – Buñuel, va remonter le cours du temps et, de fil en aiguille, revenir aux origines du mal qui habite son personnage.

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De flash-back en ellipses, le motif du présumé meurtrier se dessine. Sans tomber dans les labyrinthes de la psychanalyse, Buñuel embrigade son personnage masculin dans un tourment de pulsions morbides. Enfant, le jeune Archibald a souhaité la mort de sa gouvernante. Par l’entremise d’une boîte à musique aux effets magiques, la gouvernante tombe instantanément raide morte, victime d’une balle perdue. Le garçon, stupéfait, découvre alors deux concepts dont il ignorait jusque-là l’existence : la mort et le désir. En effet, la jupe de la jeune femme s’est relevée dans sa chute, laissant entrevoir ses jambes en bas de soie.

Dehors, la révolution mexicaine, qui s’est déroulé de 1910 à 1917 après qu’un groupe de Mexicains a pris les armes contre le dictateur du pays Porfirio Díaz, fait rage, et la balle égarée permet à Buñuel de contextualiser son récit chez les riches aristocrates qui ne se préoccupent guère du conflit qui éclate dans la ville.

À présent, dès qu’Archibald désirera une femme, les échos déréglés de l’obscure boite à musique se feront entendre et le pousseront à envisager la mort de celles-ci. Buñuel imagine alors un montage symbolique dans la veine du Surréalisme dont il est une des figures de proue au cinéma.

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En faisant apparaître littéralement un écran de fumée, de flammes ou de sang, Buñuel réveille le trouble érotico-meurtrier de son personnage, et par les nombreuses surimpressions oniriques – sublimées par la récente restauration des images -, suggère son dérèglement intérieur.

Côtoyant à la fois l’obscène et le raffinement, le spectateur se questionne sur le degré de préméditation d’Archibald, ses plans restant longtemps (voire toujours) opaques. Arborant un demi-sourire constant et un air mutin, Archibald est un homme charmeur qui n’ambitionne peut-être que d’être aimé, pour être sauvé de ses pulsions. Il dit d’ailleurs vouloir se marier pour échapper à ses « sombres pensées ».

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Néanmoins, et jusqu’au dénouement final, le spectateur suit les mésaventures d’un homme qui tue les femmes par frustration et accès de colère. Le cinéma de Luis Buñuel reste bien ancré dans ses métaphores et se détache du territoire de la morale. Les « actes » criminels d’Archibald ne sont finalement que fantasmes obsessionnels et l’ambiguïté dans les propos du film, fable cérébrale et fantastique, suspend tout jugement. 

Dans les années 1950, au moment où sort le film, les questions liées aux féminicides sont très loin de la conscience collective. De manière transgressive et à travers un personnage masculin qui se situe plutôt du côté de la jalousie maladive que du chaste amour, Luis Buñuel pointe du doigt l’obsession délétère de certains hommes envers la sexualité féminine.

Images: © Tamasa Distribution