L’éblouissement. C’est le sentiment qui nous soulève en découvrant You Belong There, son premier album solo. Les dix années d’attente depuis Silent Hour / Golden Mile, seul maxi enregistré en 2012 sous son nom de baptême, paraissent soudain dérisoires. Au téléphone depuis sa résidence de Santa Fe (il y a longtemps qu’il a fui Brooklyn et ses hipsters), le coleader de Grizzly Bear et de Department of Eagles, enfin seul maître à bord, ne se cherche pas d’excuse. « J’ai connu des périodes avec peu de musique. Je me suis isolé géographiquement et mentalement. J’ai eu un enfant. J’ai repris l’étude de la contrebasse et de la clarinette. J’ai procrastiné. Je me suis mis la pression… Il m’a fallu toute une vie pour sortir cet album. »
Dix chansons parfaites pour une vie, qui peut en dire autant ? La sereine prodigalité du jeu et de la voix, la splendeur des structures, la grâce de l’acoustique, la densité savante des arrangements : tout pointe vers un âge d’or fantasmé, sans règle ni limite, érigé en rempart contre l’éphéméride indie-pop. « J’aimerais être prolifique, mais j’en suis incapable. Dans mes chansons, chaque geste compte, chaque décision est mesurée. » Et c’est justement pour ça que You Belong There nous éblouira encore dans dix ans.
Si votre album était un film
« Difficile… ça pourrait être un film d’Andreï Tarkovski. Ou alors Cœur de verre de Werner Herzog. Quelque chose avec de longs et lents plans de paysages qui refléteraient l’esprit contemplatif de l’album. Ceci dit, je ne m’inspire jamais directement du cinéma, même si les bandes originales de Nino Rota, notamment Juliette des esprits [Federico Fellini, 1965, ndlr] ou de Leonard Bernstein font partie de mon fond musical. »
You Belong There de Daniel Rossen (Warp)
Image (c) Amelia Bauer