Comme en retrait, ne s’instillant jamais au cœur des conversations dont on n’entend qu’un bruit sourd, la caméra de la cinéaste américaine Kersti Jan Werdal filme un groupe d’ados dans des lieux qui évoquent tout de suite les teen movies américains : un terrain de basket, une bibliothèque, les couloirs d’un lycée…
On a l’impression d’un mash up de tous les moments de pause dans ces films, où l’on pourrait nous-mêmes projeter une infinité de microfictions, et faire notre propre montage. Le sentiment qui finit par primer est celui de l’absence, suite à la mort violente d’un des membres de la bande – on l’apprend en vitesse, de manière presque imperceptible, par une info à la radio.
Pour distiller cette impression d’abandon, Kersti Jan Werdal fait preuve d’un grand talent de paysagiste : l’environnement, à la fois urbain et herbeux, celui du Nord-Ouest de l’Etat de Washington, près de Seattle, apparaît dans tout ce qu’il a de désolé, d’embrumé ou de pluvieux. Une méthode qui rappelle celle du cinéaste James Benning, dont le film Landscape Suicide (1987) est explicitement cité – lui revenait sur des crimes en Californie, captant la sidération que ceux-ci ont provoqué, en filmant des lieux vacants.
On pense aussi à D’Est de Chantal Akerman, où la seule dramatisation est celle occasionnée par la contemplation des visages, des corps se mouvant dans des zones perdues. C’est avec le même talent à débusquer les secrets dans les images que Kersti Jan Werdal nous plonge dans un état d’égarement, une vague tristesse. Jusqu’à ce plan magnifique où l’on surprend un baiser, l’un des plus beaux vus dernièrement au cinéma.