En 2014, Hassan et Fatima, couple de cinéastes indépendants, ouvrent le Café de l’Art en plein Kaboul. Fréquenté par les artistes, le lieu ne tarde pas à subir la répression policière puis les foudres des fondamentalistes islamistes, et à fermer.
Peu après, parce qu’il a réalisé un film sur un taliban repenti, Hassan apprend que sa tête est mise à prix ; déjà réfugié au Tadjikistan, il doit quitter la région en urgence avec sa femme et leurs deux petites filles. C’est le début d’un long périple de trois ans vers l’Europe au cours duquel, sans moyens, la famille exilée documente sa traversée des Balkans.
Nuits dans des immeubles en construction ou des forêts humides et froides, passeurs qui menacent d’enlever les fillettes, interminable attente dans des camps de réfugiés bondés et mal équipés… Le dispositif filmique à trois smartphones crée un effet d’immersion. Des images cahotantes surgit une vérité qui n’existe nulle part ailleurs : celle du réel dans sa force brute, échappant à toute stylisation. Des longs trajets en voiture jusqu’au confinement des camps de réfugiés, Hassan et les siens sont comme compressés dans de petits espaces clos.
Lorsque l’extérieur s’ouvre enfin à eux, c’est pour franchir les frontières en courant à travers champs ou passer des nuits inquiètes, cernés par de multiples dangers. Confrontés au rejet dans leur pays d’origine puis dans ceux qu’ils traversent (où les migrants subissent des réactions hostiles voire violentes), ils chroniquent leur vie dépossédée. Malgré le chaos, l’attente et l’enfermement, Midnight Traveler émeut d’autant plus qu’il est traversé par une lumière – celle de moments de joie, d’optimisme salvateurs et de complicité d’une famille qui, dans son malheur, trouve la force de reconquérir sa liberté.
: Midnight Traveler de Hassan Fazili, Sophie Dulac (1 h 27), sortie le 30 juin
3 QUESTIONS À HASSAN FAZILI
Pourquoi avoir décidé d’ouvrir le Café de l’Art ?
À l’origine, pour avoir une source de revenus et pour créer un lieu d’échanges entre artistes, ce qui n’existait pas là-bas. Je savais que l’entreprise était risquée, mais pas que ça ferait autant scandale. En définitive, avec les habitués du café, nous sommes devenus des résistants malgré nous.
Comment s’est mis en place ce système de prise de vue avec vos trois téléphones ?
Lorsqu’on a dû s’enfuir du Tadjikistan, j’ai appris à ma femme et à ma grande fille, Nargis, à bien filmer avec un téléphone. On s’est filmés les uns les autres, sans savoir si on resterait vivants. Nous avions deux téléphones au départ, puis un seul en arrivant en Bulgarie, puis trois à partir de la Serbie.
Que pensez-vous du traitement médiatique des migrants ?
On en parle, c’est déjà ça, mais les migrants sont présentés comme des gens très en demande de tout ou comme des délinquants. C’est une vision très pauvre de la réalité. Mon film entend montrer cette réalité sur un temps donné, sans faire dans le sentimentalisme ou dans la revendication politique.