CANNES 2022 · « Nos Frangins » de Rachid Bouchareb : poignant retour vers l’injustice d’État

En mettant en miroir les assassinats des jeunes Malik Oussekine et Abdel Benyaha survenus fin 1986, Rachid Bouchareb nous plonge délicatement dans une nuit sans fin qui hante encore la France d’aujourd’hui.


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La mort de Malik Oussekine a tant marqué la France des années 1980 qu’on pensait connaître tous les aspects de cet effroyable crime policier. Mais Rachid Bouchareb, déjà présent à Cannes avec Indigènes et Hors-la-loi (œuvres qui visaient elles aussi à forger une mémoire collective), trouve avec Nos frangins un nouvel éclairage bouleversant. Le cinéaste met ainsi en miroir deux tragédies survenues dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 : car en même temps que la brigade des voltigeurs à moto tuait Malik Oussekine au cœur d’un Quartier Latin marqué par des manifestations étudiantes, un autre jeune homme, Abdel Benyaha, fut tué à Pantin par un policier ivre et hors service.

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La simultanéité des deux évènements plonge le film dans une narration labyrinthique qui décrit patiemment le processus de découverte de la vérité puis le travail de deuil des deux familles (Reda Kateb et Lyna Khoudri incarnent d’un côté le frère et la sœur de Malik Oussekine, tandis que Samir Guesmi et Lais Salameh interprètent le père et le frère d’Abdel Benyaha). Une sidération commune envahit peu à peu l’écran et va jusqu’à atteindre le policier (joué par Raphaël Personnaz) de l’Inspection Générale des Services, personnage qui suit les deux affaires de près, passe la plupart de son temps à la morgue et doit retarder à la demande de sa hiérarchie la transmission des informations aux familles.

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En s’immergeant dans l’énergie de l’année 1986 avec des images d’archives et une bande-son d’époque (Les Rita Mitsouko, Mano Negra, Renaud) tout en lui opposant une atmosphère de requiem au fur et à mesure que les proches des victimes prennent conscience de l’injustice et de la brutalité des deux décès, Rachid Bouchareb signe un film à la colère froide qui prolonge la douleur de cette nuit sans fin dont le pays semble ne jamais être totalement sorti. Le lien entre les pelotons de voltigeurs de 1986 et les pratiques policières réintroduites en France en 2018 est par ailleurs évoqué en conclusion et confère une résonance glaçante et terriblement contemporaine à la souffrance de Nos frangins.

Le Festival de Cannes se tient cette année du 17 au 28 mai 2022. 

Image (c) Guy Ferrandis