Situé de nos jours dans un quartier modeste d’Amman, capitale de la Jordanie, Inchallah un fils s’intéresse au destin de Nawal (Mouna Hawa), mère trentenaire dont l’époux vient de décéder. Les lois concernant l’héritage, très défavorables aux femmes, auraient avantagé Nawal si elle avait eu un fils, mais il se trouve qu’elle a une fille. Les biens du couple doivent alors être répartis entre les plus proches parents du défunt sans que l’épouse ait son mot à dire… à moins que lesdits proches (ici les frères du mari décédé) ne renoncent à leur part et acceptent que Nawal garde sa maison.
Cette dépendance de l’héroïne vis-à-vis des décisions des autres offre au film une forte tension dramatique, d’autant plus que l’entourage masculin se montre d’abord conciliant avant d’effectuer des revirements qui la mettent en grave danger financier. Pour son premier long métrage, le jeune Amjad Al Rasheed brocarde le schéma oppressif qui pèse sur les veuves jordaniennes, censées subir sans broncher les abus d’un patriarcat qui bafoue leurs droits.
Plutôt que de jouer la carte d’un pathos appuyé, le cinéaste a la bonne idée de mettre en exergue l’absurdité de ce postulat en se moquant par petites touches du ridicule et de l’injustice extrême de la situation. La mise en scène, sobre et limpide, parvient dans le même temps à détailler avec précision les raisons de chaque personnage, ce qui crée une passionnante zone grise.
Confrontée à des décors dont l’horizon se révèle régulièrement bouché et se déplaçant dans une ville dont la pression économique se fait sentir à chaque plan, Nawal va lutter jusqu’au bout pour ses droits et faire preuve d’une détermination à toute épreuve. Grâce à un rythme posé qui rend ce thriller social calme et assuré, Inchallah un fils redonne tout son pouvoir et sa puissance tranquille à une héroïne indignée qui peut enfin accorder le monde à ses désirs.
Trois questions à Amjad Al Rasheed
Vous dites avoir grandi au milieu de femmes. En quoi cela a influencé ce premier long métrage ?
Cela m’a clairement forgé, de grandir dans une famille aux femmes nombreuses. Mes tantes, mes cousines, ma mère et ma sœur ont toujours parlé des difficultés rencontrées dans leurs vies, et l’idée du film est par exemple venue d’une situation réelle vécue par une proche parente.
Au-delà de son aspect social, le film est construit comme un thriller à suspense. Comment avez-vous mêlé réalisme et tension ?
Je voulais avant tout faire un drame réaliste. Mais, pendant que j’écrivais avec mes coautrices, l’absurde situation de cette mère qui doit résoudre ses problèmes au cœur de la domination masculine m’a sauté aux yeux. Quand vous faites des recherches sur la condition féminine, vous voyez que les femmes vivent en fait déjà dans un thriller.
Votre façon de filmer la ville d’Amman n’a rien de touristique…
Je suis né à Amman et y ai passé toute ma vie. C’est mon cœur et ma maison, mais c’est aussi une ville difficile à vivre, notamment dans certains quartiers. Il y a l’ouest et l’est et, entre les deux, les transports publics, que j’ai ici filmés comme une prison. Mon héroïne essaie de contrôler sa vie, et le seul endroit où elle se sent vraiment libre est finalement le camion de son défunt mari.
Inchallah un fils d’Amjad Al Rasheed, Pyramide (1 h 53), sortie le 6 mars