La Version 👽
Voici sans doute le roman le plus fou de la rentrée. La narratrice décrit les us et coutumes d’une peuplade lointaine, qui vit dans un décor étrange fait de bassins, de courroies suspendus, d’appareils bizarres et de plantes inconnues, funaires, bruines, grimnias. Ils mangent du hérisson, fabriquent des objets, changent d’apparence et de nom. Mais comment expliquer leur façon de vivre et de penser, vu que la plupart de nos concepts – le temps, les catégories, les événements, etc. – leur sont radicalement étrangers ? À mi-chemin entre le poème en prose et la réflexion sur l’altérité, proche de Raymond Roussel et d’Antoine Volodine, ce drôle de roman est un OVNI, culotté, profond et onirique.
de Debora Levyh (Allia)
Jules et Joe 🎥🎤
D’un côté Jules Dassin, cinéaste américain, banni de Hollywood à la fin des années 1940 à cause de la commission McCarthy, époux de l’actrice Melina Mercouri. De l’autre Joe Dassin, acteur occasionnel, saltimbanque dans l’âme, chanteur à succès de la décennie 1970. Ces deux-là, père et fils, se sont beaucoup ressemblé, sans vraiment se connaître. « Nous habitions à deux pâtés d’immeubles et, aussi étrange que cela puisse paraître, sans doute pour une question d’emploi du temps, l’on ne se voyait pour ainsi dire jamais. » Alexis Salatko raconte leurs destins croisés dans un roman bien balancé, à la fois portrait de famille, tableau nostalgique d’une époque, et méditation douce-amère sur des retrouvailles jamais advenues.
d’Alexis Salatko (Denoël)
Ne pleure pas sur moi 🚗
Voici un premier roman aux allures de film indé américain, un peu déglingué, plein de caractère et d’accords de guitare. Ça démarre près de Poissy sur une péniche avec Darline, sorte de cowgirl cabossée et folle d’un type nommé Lennon. Celui-ci a l’absurde idée de s’enfuir pour les Flandres en vue de se faire ôter les testicules. Elle part donc à sa poursuite à bord d’un Peugeot 1007 dont les portes s’ouvrent toutes seules… Ça a l’air tordu, mais la gouaille rocailleuse de Darline a quelque chose de drôle, triste et tendre à la fois, qui fonctionne dès les premières lignes. En résulte un roman étonnant, façon road novel, avec de vieilles cassettes de rock dans l’autoradio.
de Samuel Lebon (Le Dilettante)
Marchands de sable 👩👦
Suzanne, Paolo et leurs enfants décollent pour des vacances en Sardaigne, fief de la famille de Paolo, une dynastie de riches entrepreneurs. Ce n’est pas que Suzanne soit emballée : sa belle-famille fortunée et toute-puissante l’intimide et l’embarrasse, elle qui vient d’un milieu plus modeste. Elle soupçonne par ailleurs l’existence chez eux d’un secret enfoui, peut-être même de plusieurs… La partie « policière » et satirique du récit, avec sa dénonciation des industriels cupides et sans scrupule, est un peu convenue, mais le roman est rattrapé par son joli portrait de l’héroïne, quadra prisonnière de son statut d’épouse et de mère, qui cherche à récupérer le contrôle de sa destinée.
d’Agnès Mathieu-Daudé (Flammarion)
Samsara ✊🏽
Les romans de Patrick Deville sont des tapis volants. On s’assied dessus, et on se laisse porter à travers l’espace et le temps, au-dessus d’un océan de dates, de noms, de faits historiques et de coïncidences improbables. S’agit-il d’ailleurs de romans à proprement parler ? Deville les appelle des « romans d’aventures sans fiction », on pourrait aussi bien les nommer de longs poèmes en prose. Ce nouvel opus, neuvième volet du projet « Abracadabra », nous emmène aux Indes sur les traces de deux personnages, l’un connu, Ghandi, l’autre un peu moins, Pandurang Khankhoje, indépendantiste, agronome, révolutionnaire au Mexique. Un récit inclassable et dense, dans le style élégant et détaché de Deville.
de Patrick Deville (Seuil)
Au-dedans 🤖
Signe des temps, les intelligences artificielles et leurs menaces sont au cœur de plusieurs romans de la rentrée littéraire, comme Le Dernier Étage du monde de Bruno Markov ou Au-dedans de Yannick Grannec. L’autrice de Les Simples raconte l’histoire de Christa, une brillante ingénieure atteinte d’une maladie rare qui risque, comme sa mère, de la couper de l’accès à ses émotions. Pendant ce temps son ex-mari, un tycoon des nouvelles technologies, apprend aux I.A. à décrypter les émotions des humains… Ce croisement est-il un coup de pied de l’âne, ou une chance à saisir ? Un roman dense, étayé sur une documentation impressionnante (parfois un peu encombrante), qui se réclame du Frankenstein de Mary Shelley, en version 2.0.
de Yannick Grannec (Anne Carrière)
Plan américain 🎬
À New York, en 1976, en pleine vogue des films de blaxploitation, un apprenti réalisateur et un producteur débutant se lancent dans leur premier film, une fable située dans un univers de science-fiction où tous les Blancs ont disparu. Mais bien des embûches les attendent… Seth Greenland reconstitue le New York de sa jeunesse, mélange de chaos socio-économique et de bouillonnement culturel, tout en revenant avec humour sur l’un de ses thèmes fétiches, les relations raciales en Amérique et le droit pour les écrivains de mettre en scène des personnages qui ne leur ressemblent pas. Au passage, il remet en selle plusieurs figures de ses précédents livres. Action !
de Seth Greenland, traduit de l’anglais (américain) par Adélaïde Pinson (Liana Levi)