Caméra à la main, rivée sur son ombre projetée au sol, Claire Simon traverse la rue pour se rendre à l’hôpital et s’adresse à nous, en voix off : son film tissera, nous dit-elle, un fil “de la jeunesse à la vieillesse”. Filmer les prémisses de la vie autant que l’imminence de la mort : voilà à quoi tient en partie le programme de Notre corps, où Simon documente les paroles et les gestes qui ponctuent la routine hospitalière d’un ensemble de petits foudroiements dramatiques.
Une opération chirurgicale sous tension, un cancer récalcitrant, une insémination artificielle, un accouchement avec césarienne, un entretien pour détailler les étapes d’une transition de genre : les scènes abordées sont aussi hétéroclites, intenses émotionnellement que cinématographiques dans leur déroulement. C’est que des destinées y sont bouleversées – menacées par la finitude ou ranimées par l’espoir d’une vie nouvelle – et que la caméra de Simon s’y révèle particulièrement alerte, jusqu’à mettre par exemple l’accent sur une tendre caresse entre une infirmière et une patiente au seuil de la mort. Parce que les mêmes opérations s’y rejouent de manière parfois troublante, le film évoque bien souvent le récent De Humani Corporis Fabrica de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel (2023).
Mais à la différence de celui-ci, Simon ne cherche pas à pénétrer les corps pour exhiber l’insondable plasticité de notre intériorité. La cinéaste reste au contraire volontairement à la surface, en pleine lumière, nimbée par les atours miraculeux des séquences exceptionnelles auxquelles elle assiste, en spectatrice tantôt discrète, tantôt active. Dans une perspective d’échange féministe (au contraire de Garage, des moteurs et des hommes (2021), le milieu dont elle dresse ici le portrait reste majoritairement féminin), Simon prend parfois part aux scènes et garde même ses interventions au montage : en plus d’ouvrir le film, elle le refermera après être passée, lors d’une scène à la violence tragique étouffée, de l’autre côté de la caméra. Documentaire en apparence modeste qui ouvre en réalité sur une fresque titanesque, Notre corps se révèle aussi, en dernière instance, un film à la portée collective dans lequel se cache un auto-portrait hanté par l’abîme.
Notre corps de Claire Simon, Dulac (2 h 48), sortie le 4 octobre