Sur une mer d’un bleu éclatant, un paquebot accoste dans le port d’Alger. L’écart est d’emblée manifeste entre l’époque de ces images radieuses et celle de la voix off qui prône solennellement les bienfaits de la conquête coloniale. Franssou Prenant n’oublie pas qu’elle a été monteuse (pour notamment) et aborde « à la russe », c’est-à-dire de manière critique et dialectique, ce pan de l’histoire aussi méconnu d’un côté que de l’autre de la Méditerranée.
La cinéaste fabrique le commentaire comme un patchwork en piochant dans des textes contemporains à l’invasion des écrits de doctrine militaire, des essais philosophiques ou littéraires… Toutes ces voix du passé s’accordent sur la légitimité de la conquête armée et certaines envisagent de déplacer la population locale pour la remplacer sur son propre territoire.
L’archive textuelle fait face à une autre, visuelle, récupérée dans des images personnelles tournées par la cinéaste entre 2009 et 2017 lors de ses longs séjours en Algérie. L’armée française ne recule pas devant les méthodes inhumaines pour effrayer et chasser ceux qu’elle qualifie pourtant de barbares. Le principe des enfumades, empruntées à la méthode de chasse qui consiste à asphyxier les renards dans leurs terriers est alors largement encouragé. « Nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser. » Ces voix porteuses de mort sont comme des fantômes qui hantent encore les visages et les paysages algériens d’aujourd’hui.
: De la conquête de Franssou Prenant (La traverse, 1h14), sortie le 11 octobre