« Et la fête continue ! » de Robert Guédiguian : ode à la transmission

[CRITIQUE] Après “Twist à Bamako” (2022), Robert Guédiguian retrouve sa troupe d’acteurs et actrices fétiches et ses terres marseillaises. Formellement splendide, “Et la fête continue !” est un film sur la transmission, une ode à la jeunesse et à la vieillesse aux airs de comédie musicale.


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Il y aurait sans doute un parallèle à tisser entre Et la fête continue ! de Robert Guédiguian et Le Grand Chariot de Philippe Garrel (sorti en septembre). Bien que formellement très différents, les deux films entretiennent une réflexion assez proche sur la jeunesse et la transmission : que transmet-on ? À qui, et comment ? Chez Philippe Garrel, cela passe par le père, figure tutélaire d’une famille de marionnettistes, dont la mort soudaine entraîne la progressive émancipation de ses enfants. Chez Robert Guédiguian, pas besoin de tuer le père ou la mère (si ce n’est, symboliquement peut-être, le « maire ») pour que la jeune génération prenne le relais.

Robert Guédiguian : « Je pense avoir fait un film certes sombre, mais optimiste »

Le film s’ouvre sur l’une de ses jeunes protagonistes, Alice (Lola Naymark), qui s’occupe de la chorale d’une église de Marseille, et s’achèvera avec elle, lors d’un grand rassemblement populaire à la veille des élections municipales citant, implicitement, le film de Jacques Demy le plus travaillé par la question de la lutte des classes, Une chambre en ville (1982). Quelque chose d’ailleurs du cinéaste nantais semble infiltrer Et la fête continue !, notamment dans la façon dont Guédiguian parvient à cartographier le quartier de Noailles, marqué par l’effondrement en 2018 de l’un de ses immeubles pour cause de négligence de la mairie alors en place, le transformant en un petit village enchanté dans lequel se croisent, au hasard des rues et des cafés, des personnages bientôt liés à jamais.

La rencontre entre Rosa (Ariane Ascaride), mère de famille d’origine arménienne, infirmière engagée et femme politique sans grand attrait pour le pouvoir (figure librement inspirée de l’ancienne maire de Marseille, Michèle Rubirola), et Henri (Jean-Pierre Darrousin), père d’Alice qui elle-même est en couple avec le fils de Rosa (Robinson Stévenin), est de celleslà. 

Dans Et la fête continue !, comme dans une comédie musicale, les mélodies de Michel Petrossian inondent chaque plan, déposent sur eux un voile lyrique et romanesque, si bien qu’on se met à regarder les protagonistes et le moindre recoin de ce petit monde comme une promesse, comme des fictions en devenir. Chez Guédiguian, c’est aussi vrai pour le cinéma que pour la vie, qui ne cesse de rimer avec collectif. En permettant à son intrépide héroïne de vivre ce qu’elle pensait révolu, en transformant progressivement sa jeune Alice en une oratrice de premier plan, en aménageant conjointement des espaces pour les vieux, les vieilles et les jeunes, Guédiguian laisse la place, redistribue les cartes comme on redistribuerait les richesses, dans un geste clairvoyant d’une grande humilité. 

Et la fête continue ! de Robert Guédiguian, Diaphana (1 h 46), sortie le 15 novembre