Après ce que l’on imagine être une période de deuil, Arthur (Josh O’Connor, le prince de Galles de la série The Crown) revient dans le village près de la mer Tyrrhénienne où il habitait avant la disparition de Beniamina, son amour perdu. Ce Britannique à la mélancolie très corporelle vivote dans une cahute à flanc de colline et retrouve vite ses camarades pilleurs de tombes étrusques, les tombaroli, agrippés à son don pour détecter le vide. Non loin, sa belle-mère héberge Italia, jeune femme fantasque dont la décontraction amuse Arthur…
Avec comme amorce un voyage en train pendant lequel ce personnage au nom mythique admire le profil antique de l’une des passagères, La Chimère installe un dialogue constant entre les âges, les lieux et les croyances. Jusqu’à en renverser l’axe de la caméra, à opérer un tour à cent quatre-vingts degrés, pour nous emmener sous terre, dans le royaume des ombres et des disparus qu’Arthur et sa bande profanent pour survivre.
Dans la violence que font s’abattre les tombaroli sur les derniers ornements des défunts, Alice Rohrwacher se demande où se niche encore notre rapport au sacré, en même temps que notre besoin d’enchantement. À la manière du roi Arthur, dont l’existence demeure incertaine, le héros insondable du film poursuit une quête qui n’appartient plus au terrestre et en oublie d’exister parmi les vivants.
Dans le folklore que la cinéaste déploie – les tombaroli chantent les exploits et déboires d’Arthur, à la façon d’un chœur antique – s’inscrit une lancée documentaire, un geste de préservation d’une Italie dont la ruralité et l’anticapitalisme s’éteignent. Et un épanouissement, comme la promesse d’une société débarrassée du patriarcat, du personnage d’Italia, incarnée par la Brésilienne Carol Duarte (La Vie invisible d’Eurídice Gusmão), soit une étrangère qui réinvente sa terre d’accueil. Qu’importe que le temps du récit soit tantôt dilaté, tantôt condensé, l’infinie poésie de sa présence très concrète au monde emporte tout sur son passage.
La Chimère d’Alice Rohrwacher, Ad Vitam (2 h 10), sortie le 6 décembre.
Trois question à Alice Rohrwacher
Que cherchez vous dans l’absence de repères temporels ?
Dans les films, je crée toujours un monde dans lequel on est perdu. C’est comme si on atterrissait sur notre planète, la Terre, et qu’on devait trouver comment s’orienter. Il y a des moments où on est « en plein dans le temps », où on ne comprend pas les choses qui nous arrivent, et il y en a d’autres où le temps est amplifié, où l’on voit la vie avec du recul et où se dessine quelque chose.
On peut se demander si l’intégralité du film n’est pas un songe…
Cette question était très importante pour moi : « Arthur existe t-il ou non ? Existe-t-il parce qu’on l’a imaginé » Je crois en lui, même si je ne suis pas sûre qu’il existe. C’est une différence essentielle qui a trait à l’idée d’avoir du « mal à rentrer dans le film » parce qu’on ne s’identifie pas au personnage. Je pense qu’on doit apprendre à voir et à vivre des choses sans toujours se mettre au premier plan, mais en respectant des sentiments que l’on ne comprend pas.
En quoi votre expérience du cinéma documentaire influence-t-il votre cinéma actuel ?
Mes films amènent de la fiction au sein du vrai monde que j’ai créé, avec beaucoup d’amour et d’attention, avec l’équipe. On peut dire que c’est un monde documentaire, même s’il est reconstruit. Ensuite, dans ce monde très vrai où l ’on plante réellement le tabac, où l’on élève les animaux, où l’on découvre des tombeaux sous terre, on fait advenir quelque chose de faux.