“Portraits fantômes” de Kleber Mendonça Filho : mémoire de cinéma

[CRITIQUE] Quatre ans après le Prix du jury à Cannes, obtenu pour le furieux “Bacurau”, le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho revient sur les écrans avec un documentaire, nouvelle pièce d’une œuvre protéiforme qui ne cesse de brasser la mémoire des lieux.


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À première vue, Portraits fantômes constitue une note de bas de page aux précédents films de fiction de Kleber Mendonça Filho, Les Bruits de Recife (2014) et Aquarius (2016). Essentiellement construit à partir d’images d’archives, le documentaire poursuit la mise en perspective des mutations urbaines et architecturales qui transforment en profondeur le contexte social de Recife, ville natale brésilienne du réalisateur.

« Bacurau », la fable dystopique sanglante de Kleber Mendonça Filho

Il se structure alors en deux temps. D’une part, la transformation progressive de l’appartement familial et du quartier qui l’entoure – défiguré peu à peu par une folie immobilière jusqu’à ressembler à un quartier de haute sécurité géant, posé dans une carte postale balnéaire. D’autre part, la disparition inéluctable des trois grands cinémas du centre-ville, laissés à l’abandon, au profit des zones périphériques privilégiées, cerclées de barbelés et de caméras de surveillance. Mais ce statut complémentaire ne s’arrête pas au seul prétexte du film, il en nourrit une forme et un montage particulièrement audacieux.

Il opère une fusion des registres d’images, qui vise à strictement égaliser leur valeur documentaire, qu’il s’agisse de sources personnelles du cinéaste, d’archives d’amateurs et d’anonymes, de chutes d’entretiens, d’essais, de brouillons et surtout d’extraits fictionnels. La mise à plat hiérarchique pose ici une équivalence de nature en matière de récit et de savoir, entre des extraits de réel et des pans d’imaginaires.

L’hybridité à l’œuvre dans les précédents longs métrages de Mendonça Filho est ainsi explicitée et poétisée. On retrouve, non sans un léger vertige visuel, les décors des films se départir de leur aura cinématographique et reprendre leur aspect quotidien. Portraits fantômes organise un perpétuel va-et-vient entre les deux dimensions. Les lieux de vie dialoguent avec les lieux de l’art, et tous représentent des espaces refuges.

Kleber Mendonça Filho, espace-temps

Une fine nostalgie accompagne la promenade dans les mémoires des salles de cinéma, transmise à travers leurs noms évocateurs (le São Luiz, l’Art Palácio, le Trianon) et incarnée dans la figure triste d’un projectionniste dévoué. Elle dessine un art populaire mis peu à peu sous l’éteignoir, au gré des pressions politiques et économiques. Si les lieux de projection disparaissent ou s’excentrent, les lieux de tournage se retranchent dans des économies artisanales pour lesquelles chaque mètre carré de l’habitat – une maison, une rue, une ruine – sert de cadre de fortune et abrite la résistance d’un cinéma alternatif. 

Portraits fantômes de Kleber Mendonça Filho, Urban / Dean Medias (1 h 33), sortie le 1er novembre.