DIVINE GANG · Mathieu Morel : « J’essaye de trouver des images fortes pour faire ressentir mes blessures, la noirceur, la perte »

Le cinéma surréel du passionnant Mathieu Morel est romantique, à cran, à vif. Regroupés dans un monde à la fois féérique et cauchemardesque qu’il appelle son « Rabbit Hole », ses contes noirs jouent du transgressif, de l’écorché et du grotesque pour ravager les conventions.


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Dans ton film documentaire Pieces Of Her : 33 Fragments de Britney Spears (2021), composé de vidéos de la star glanées sur le web, la célèbre chanteuse répète cette question : « Êtes-vous prêts à supporter ma vérité ? » Dans quelle mesure tu la reformules à travers ton cinéma ?

J’adore cette phrase, elle me va très bien. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu beaucoup de mal à expliquer ce qui m’était arrivé, d’où je venais, pourquoi je voulais faire du cinéma. Le meilleur moyen, c’était justement de faire des films. Je n’ai pas la parlotte facile, je n’ai pas débarqué en me plaignant auprès de tout le monde. Je fais mes films d’abord pour les montrer aux gens que j’aime, à mes amis, sans penser après à les montrer à un public. C’est vraiment pour communiquer quelque chose de personnel. J’essaye d’aller toujours plus loin, avec de l’horreur, de la violence, pour essayer de voir si ça passe. Je reformule en disant : « Êtes-vous prêts à voir ce qui m’est arrivé ? » Il n’y a pas beaucoup de mots dans mes films, mais j’essaye de trouver des images fortes pour faire ressentir mes blessures, la noirceur, la perte.

Tu as pensé une sorte de studio nommé « Rabbit Hole », qui réunit tous tes films. Le « Rabbit hole », ça évoque le gouffre par lequel Alice accède au Pays des merveilles, c’est aussi une expression utilisée pour les narrations mimant la navigation aléatoire sur internet.

Alice au pays des merveilles est un de mes livres préférés. La méthode de Lewis Caroll, qui tente de faire ressentir par la littérature le malaise du rêve, me parle beaucoup. On passe d’une scène à une autre, d’un état à un autre, sans connexion. Je ne crois pas qu’il y ait de beaux rêves, il y a toujours un truc gênant, anormal. Dans une journée je peux penser à ma mère, à un clip de Britney, écouter un pote qui a des problèmes de drogues, et si la nuit je fais un rêve et que tout ça se mélange, ça peut donner un film. Souvent, je pars d’une image précise. Par exemple, pour Love et ex Mortuus, j’ai rêvé d’une image dans laquelle une fille est trainée en laisse par un garçon, et derrière eux, un autre garçon en robe les suit en filmant. J’ai construit le film pour arriver à cette image. Le « Rabbit Hole », ce n’est ni une production, ni un studio. Au départ, je voyais vraiment ça comme un collectif. Je travaille beaucoup avec mon copain Léolo et mes sœurs Julie et Charlotte Morel. Avant, je ne connaissais qu’elles. Depuis que je suis à Paris, je fais beaucoup de films avec des garçons, parce que ce sont aussi eux que j’ai envie de filmer.

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Elisabeth Raymond est l’héroïne de deux de tes films, Elisabeth Raymond (2003-2020) (2020) et Love et ex Mortuus. Le premier est une sorte de cauchemar Snapchat où l’on comprend par le récit de ses connaissances qu’elle s’est suicidée après avoir été harcelée. Dans le second, elle revient sous forme de zombie hanter ses proches. Qu’est-ce que tu as mis de toi dans ce personnage ?

Elisabeth Raymond 2003-2020, je l’ai fait parce que j’étais frustré de ne pas pouvoir réaliser Love et Ex Mortuus. Je n’avais pas d’argent, et je voulais raconter cette histoire d’une fille qui s’est tuée, mal aimée malgré cet acte, encore après la mort. Dans Love et Ex Mortuus, elle est complètement bafouée, martyrisée du début à la fin. Son mec et son frère sont focalisés sur leur propre désir naissant, ils l’oublient. Malheureusement, j’ai perdu beaucoup de gens, tous par le suicide. Et chacune de ces disparitions a suscité des réactions complètement délirantes. Les gens font valoir leur propre souffrance du deuil avant celle de ceux qui ont choisi de mourir. J’ai collectionné les enterrements où les gens ne se privent pas de parler, c’est une époque où il y a des concours de souffrance systématiques. Moi, j’ai perdu ma mère mais je passe mon temps à dire que je suis le plus chanceux du monde, parce que j’ai un père et des sœurs exceptionnels. Cette souffrance, il faut savoir en parler avec les gens qu’on aime, savoir la mettre de côté aussi, montrer la joie. C’est pour ça aussi que j’essaye de projeter de l’horreur avec de l’humour, de la tendresse, de l’amour. Ma vie ressemble plus à ça qu’à une tragédie grecque.

Dans ton film Cum In My Heart (ou le fabuleux lâcher prise de Thomas Timbère) (2022), le héros tient justement un blog où l’on retrouve ce mélange d’horreur et de mignon. Tu tenais un blog, ado ?

Complètement, je crois que c’est un truc d’époque, un peu emo. J’ai passé mon adolescence à regarder des films d’horreur et des Disney, donc ça ressort comme ça. J’avais un site internet. Les blogs, je trouve ça triste que ça ne se fasse plus, il y avait une forme très libre. Pour Cum In My Heart…j’ai créé un vrai blog, avec des visuels très paillette, très glauques.

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Cum In My Heart (ou le fabuleux lâcher prise de Thomas Timbère) (2022)

À quoi ressemblait ton adolescence ?

Je viens d’Ecrosnes, un tout petit village en région Centre-Val de Loire. C’est aussi là que je tourne. C’est nul à chier. C’est l’horizon à perte de vue avec des champs gris, il n’y a rien ni personne. Avec les pesticides on ne peut pas boire l’eau du robinet, et quand les tracteurs passent il y a un nuage de poussière chez nous, on respire mal. Quand des gens ont l’air de trouver ça bien de vivre à la campagne, je leur rétorque « Venez, on va faire une fête et vous verrez que c’est un endroit où, quand on est adolescent, c’est l’horreur. » C’est la région en tête du taux de suicides chez les ados, et je comprends pourquoi, je l’ai vu de mes yeux. On est seuls, complètement abandonnés, il n’y a pas de bibliothèques, pas de commerces… Quand j’étais ado, j’ai fait un grand dessin. Je l’ai montré à Léolo au cas où je mourrais. Ça représente un grand cercle avec tous les personnages qui sont et seront dans mes films. J’étais très romantique et un peu concon : j’étais persuadé que passé l’adolescence, je n’aurai plus d’idées. Donc mes histoires, je les ai écrites à cette période.

Les films que tu réalises maintenant, tu les as tous pensés à l’adolescence ?

Je suis content de l’avoir fait parce que c’est dur de parler de l’adolescence en tant qu’adulte, et je pense aussi que c’est important de parler d’adolescence tout le temps. L’énergie de vivre est là, c’est pour ça qu’on est triste quand on ne l’est plus, pour ça qu’on a peur de l’être. J’ai posé tout ce qui me passait par la tête quand j’étais ado, et aujourd’hui je remets en forme. J’ai gardé les histoires, les personnages, la finalité – parce que tout ça amène à quelque chose. Je ne veux pas toucher à ça, même si parfois j’en doute. Il ne faut pas que l’adolescent que j’étais rougisse du cinéaste que je suis aujourd’hui.

Tourner à Ecrosnes, ça te replonge dans cette période ?

Je n’ai jamais trop quitté l’adolescence. J’ai perdu ma mère et, d’un coup, on était adolescents dans les faits, mais très adultes dans le comportement. Très jeune, je m’occupais de mes papiers, de mes affaires. Mon attitude est restée assez figée. Je sais que ma mère a trop joué à l’adulte, ça l’a beaucoup fait souffrir. Elle voulait avoir l’air d’une personne normale, d’une hétéro, ça l’a amenée au trou, elle est morte. Moi, je n’ai pas envie de casser l’envie de pouvoir jouer, de me déguiser, de vouloir faire de l’art et pas un vrai travail. Pourtant, j’en ai fait, des vrais boulots. Se cacher, je sais que ça tue. Je refuse de me laisser marquer par cette souffrance de gens qui n’ont rien et qui n’arrivent pas à trouver autre chose. Moi, je me suis motivé à venir ici, dieu merci. Léolo m’a récupéré, il s’est bien occupé de moi.

Et comment tu es parti ?

On me prenait pour un débile profond alors que je ne l’étais pas, et je le savais. Là-bas tout n’est que misère. Il ne faut pas romantiser les pauvres. La pauvreté, c’est une souffrance quotidienne, et les gens deviennent cons malheureusement. Je les aime et je les défendrai toute ma vie, mais ils sont monstrueux parce qu’ils deviennent bourreaux, ils ont à cœur de rabaisser. Je travaillais en intérim dans une usine que je détestais. Ma patronne trouvait que je travaillais bien. Un jour, elle me demande : « Tu veux un CDI ? » J’ai réfléchi un instant et je me suis vu vingt ans après. Je suis parti en courant, elle a dû se dire que j’étais fou. J’ai pris ma bagnole et je suis allé dans la ville à côté, Rambouillet.

J’ai demandé au banquier de me faire un prêt étudiant, immédiatement. Il fallait que je parte, sinon j’allais m’enfermer et mourir comme ma mère à 40 ans. Je suis arrivé à Paris avec mon prêt étudiant pour une année d’école de cinéma. Là, on m’a encore pris pour un débile, principalement les profs. J’ai abandonné avant la fin de l’année, et trois ans après j’ai fait la FEMIS, où là des gens merveilleux comme Nicole Brenez [historienne, chercheuse et programmatrice, ndlr], qui y enseigne, m’ont vraiment vu tel que j’étais. Je rendais des exercices très différents des autres élèves, je me souviens que certains quittaient la salle, parce qu’il ne voulait pas voir ça, je pense qu’ils trouvaient ça un peu raté. Or, l’amateurisme du montage, un peu abrupt, radical, ce n’est pas un hasard pour moi. Nicole voulait absolument montrer ces exercices, notamment à la Cinémathèque française, ça m’a extrêmement touché.

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La Belle et la Bête (2021)

La Belle et la Bête (2021), Cum In My Heart… Tes films suivent souvent la structure du conte. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette forme ?

C’est le ton accessible à tous, qui permet de faire passer des idées qui ne le sont pas. J’adore les livres pour enfants, les dessins animés, mais ceux qui sortent aujourd’hui prennent un peu les enfants pour des cons. Dans les contes, tu peux parler des horreurs de la société avec des mots d’enfants. C’est un registre qui se perd un peu, difficile à faire valoir au cinéma. Jean Cocteau faisait des films que les enfants pouvaient regarder, les adultes aussi, sans que les uns et les autres ne voient la même chose. C’est très précieux, j’en lis encore beaucoup aujourd’hui. La Belle et la Bête, c’est une histoire qui existe dans toutes les civilisations, comme si c’était une histoire née dans le cœur de tout le monde.

Tu es l’une des dernières personnes à avoir interviewé le réalisateur Wakefield Poole avant sa mort en 2021. Dans son culte Bijou (1972), il a su mêler pornographie gay et féérie. À quel point il t’inspire ?

Dans Bijou, il y a vraiment l’idée du « rabbit hole ». Le film invente une forme cinématographique nouvelle, une fantaisie, un monde sexuel avec des effets très forts, sans parole, juste avec les corps. C’était ma référence première pour faire La Belle et la Bête. J’avais envie de réaliser un film avec de la sexualité, mais je ne savais pas comment sans tomber dans l’industrie du corps. Je voulais que ce soit bien fait. C’était la personne à qui parler de ça. Ce qu’il m’a dit était tellement intéressant qu’on en a fait un entretien pour la plateforme qu’on a créée avec Léolo, HORSCHAMP. Je la relis très souvent, parce que ce qu’il dit est très précis, juste, sensible. Mes films ont complètement changé depuis que je lui ai parlé.

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Bijou (1972) de Wakefield Poole

Avec tes films, tu renoues avec le queercore – ils s’attaquent à la société hétéro comme à l’uniformisation de la culture gay bourgeoise. On pense notamment à Bruce LaBruce…

Je joue dans son prochain film, The Visitor ! On a tourné à Lourdes, une ville que j’adore : je suis un peu spirituel-catho sur les bords. Avec Léolo et un acteur porno, on a une scène de sexe dans une forêt des Pyrénées absolument magnifique, très conte de fées… J’espère que mes films ne sont pas offensifs qu’envers la société hétéro, mais qu’ils le sont aussi envers la société en général. Ce qui me touche, c’est la misère sociale, la lutte des classes. Ce sont toujours les mêmes qui souffrent, et ce ne sont pas que les gays. Venant d’un village de 400 habitants, je veux parler de l’isolement qui entraîne la misère affective, émotionnelle, intellectuelle. J’ai vu ma mère et mon oncle, très sensibles, très intelligents – ma mère était homosexuelle mais pas mon oncle – dépérir, jusqu’à se tuer de ne pas pouvoir faire valoir leur intelligence. Pour moi Aussi fort que tu peux (2019) [l’un de ses films, dans lequel un jeune homme voit son ami s’abandonner à une sexualité extrême, ndlr.], ce n’est pas un gay qui souffre, c’est un pauvre qui souffre. Il s’avère qu’il est gay parce que je le suis et que j’ai envie de montrer cette sexualité qui est extrêmement belle, évocatrice, que j’ai envie de filmer des hommes parce que je les trouve beaux.

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Return Of The Living Sluts (2021)

Dans ton film Ce qu’il advient quand de pauvres beaux hétéros postent des photos d’eux sur l’internet (2021), il y a quand même un ton acerbe envers les hommes straights – dans un montage halluciné, tu confrontes leurs photos innocentes à des vidéos de masturbation.

Oui, là, c’est pour se moquer des hétéros cons. C’est un pied de nez, un vol de leur image. C’est aussi pour railler les gays qui se passionnent pour l’imagerie de l’hétéro débile. On ne va pas se mentir, ces mecs nous violenteraient s’ils nous connaissaient. C’est un truc d’absurdie, surtout ça me faisait énormément rire.

The Deep Queer Massacre joue beaucoup sur le grotesque, avec cette musique d’accordéon, le faux sang qui éclabousse.

Là, l’idée, c’est vraiment de faire un Scary Movie pédé. J’aime bien les films d’horreur vintage, avec des effets spéciaux foireux, un maquillage pas optimal… La pauvreté esthétique et économique du film, ça devient une force. Ça, ça existe principalement dans le cinéma d’horreur, et ça m’a toujours énormément touché. Massacre à la tronçonneuseEvil Dead… Il y a une intensité, ça fait rire et ça met mal à l’aise, parce que tout est grotesque. Et le grotesque fait peur.

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Love et Ex Mortuus (2023)

C’est particulièrement le cas dans ce plan de Love et ex Mortuus, dans lequel deux mecs s’embrassent près du cadavre d’Elisabeth Raymond, qu’ils viennent de maquiller hideusement avec du gloss rose bonbon.

Il fallait aller le plus loin possible dans le grotesque pour faire sentir que ces gens sont en train de faire un truc épouvantable – c’est une humiliation, une violence esthétique qui la rend affreuse. C’est aussi pour parler de la misogynie des gays, qui prennent les filles pour leurs poupées. J’ai des copains gays qui parlent de la sexualité des femmes en disant « ah mon dieu, quelle horreur ! » Je trouve ça absurde et complètement déplacé.

Tu dédies ton film Aussi fort que tu peux aux « garçons qui aiment que ce soit fort ». À quel point tout ton cinéma se construit là-dessus ?

J’aime beaucoup les sensations fortes, je pense qu’elles ne sont pas que négatives. Aussi fort que tu peux parlait en creux du chemsex, de la sexualité entre hommes aujourd’hui. Ce qu’on voit peu, c’est que cette volonté de trouver une sexualité toujours plus forte, de mettre son corps en péril, cache souvent une envie d’amour très forte. Je pense qu’il y a plein de gens, et particulièrement les gays, qui croient à l’amour avec un grand A, et ça exige un investissement tellement fort que ça se répercute physiquement. De la même manière, j’ai connu beaucoup de personnes qui se sont tuées, et je sais que ces personnes souffraient d’un mal d’amour. Le mal d’amour, c’est quand même une violence énorme, qu’il faut absolument mettre en avant.

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Aussi fort que tu peux (2019)

Tu joues dans le premier long métrage de Léolo, Le Corps du délit, notamment inspiré des écrits de Geoffroy de Lagasnerie. Dans une interview que le sociologue nous donnait en 2020 à propos de la multiplication des images de violences policières, il confiait : « Je me méfie du spectacle. On s’habitue très vite aux mises en scènes extrêmes. » Comment ça t’interroge ?

On essaye de mettre ça en évidence dans le film. Les gens s’arrêtent aux conséquences de la violence, plutôt qu’à son origine même. La violence réelle, c’est la violence d’Etat, et ce n’est pas seulement un flic qui massacre quelqu’un, ça va plus loin que ça. Geoffroy le raconte mieux que personne aujourd’hui. C’est le grand penseur de gauche du 21e siècle, j’étais extrêmement heureux de pouvoir dire ses textes, de pouvoir mettre un peu de moi dans cette pensée-là.  Il faut absolument que des gens comme Léolo fassent des films de tout ça, de ces textes qui ne sont pas forcément accessibles à tous. Les images, c’est le sujet du film, et il en a créé lui-même avec moi, il est allé en chercher de nouvelles lui-même en interrogeant Les Mutilés pour l’exemple [association composée principalement de victimes de violences policières, ndlr] … J’ai hâte que le film passe, je trouve qu’il est d’autant plus important que mes conneries avec du sang.

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Le corps du délit (2023) de Léolo

Il y a cette phrase de Godard citée dans Le Corps du délit : « Il ne faut pas faire des films politiques, il faut faire politiquement des films. » Comment tu tiens cette conduite ?

Il y a des cinéastes qui réalisent des films de gauche tendres, humains – mais qui vont instaurer une vraie tyrannie sur leurs tournages. Il faut trouver un système de travail, d’amitié, de famille, de création qui, lui, soit vraiment engagé à gauche, c’est-à-dire sensible, ouvert, sans souffrance. Il y a une hiérarchie de travail sur les tournages qui est parfois la même que dans les usines. J’ai fait beaucoup de boulots, j’ai été stagiaire, figurant, pendant des années. J’ai vu le plus bas de l’échelle et je me suis promis que si je devenais réalisateur, je refuserais qu’on ne paye pas une heure supp’ à un figurant. Là, je travaille sur un nouveau film, je suis en montage, et c’est mon plus gros budget, il y a le CNC derrière. D’un coup, il y a des gens bien professionnels, qui se permettent de dire des choses complètement déplacées. Je dis à une chef déco qu’il y a une guinguette dans tous mes films. Elle me répond : « Non, la guinguette, je n’aime pas, ça fait garçon de village, ça fait fête foraine. » Et moi de lui répliquer : « Ben, c’est bien dommage, parce que c’est précisément ce que je suis, un garçon de village, et mes films sont une fête foraine. »

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Tu apparais souvent dans tes films avec un masque et tu m’as apporté celui du prochain, qui reprend le logo de l’appli de rencontres gay Grindr. Tu peux m’en parler ?

J’aimais bien fabriquer des masques quand j’étais jeune, pour faire mes premiers films. Comme je ne connaissais pas d’acteurs, il fallait que je joue moi-même. Ou alors je ne pouvais pas demander certaines choses trop extrêmes aux comédiens, comme quand je baise un cœur dans Cum In My Heart… Pour n’avoir pas tout le temps la même gueule à l’écran, autant qu’il y ait des masques. Puis, j’aime bien être masqué, même sexuellement je trouve ça sexy quand on ne voit pas le visage de quelqu’un, que son visage dégage une idée plutôt qu’une personnalité… Mon prochain film, Pornauseous parle beaucoup de Grindr, ce gouffre de misère affective auquel les gens sont addicts. On y va froids, pas du tout ouverts aux sentiments. C’est un peu la chasse aux Pokémons, une collection sexuelle. Dommage. On rit trop du romantisme. Moi qui suis avec mon mec depuis dix ans, on me dit souvent : « Ça ne durera pas. » Je réponds : « Vous verrez. » 

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The Deep Queer Massacre (2023)

Les films de Mathieu Morel sont disponibles sur son site My Rabbit Hole

Séances de The Deep Queer Massacre et Love et Ex Mortuus le 18 et 25 novembre à Chéries-Chéris, au mk2 Beaubourg

Séances de Le Corps du délit de Léolo le 19 et 24 novembre à Chéries-Chéris au mk2 Beaubourg