I.ARTISTE · TrashCanRoxanne : « Il y a dans ces outils une énergie créative qui nous procure quelque chose de spécial. »

Roxanne Ducharme est une transfuge du monde de l’animation, avec un CV impressionnant qui va d’ « Astérix et le coup du menhir » au « Jour des Corneilles », en passant par « Fievel au Far West ». Forte de cette expérience, elle déploie avec l’appui des I.A., une œuvre parfois angoissante, toujours poétique et souvent d’une drôlerie irrésistible à base d’animaux marins, de facies élastiques et de personnages à la Botero.


« Ça fait 38 ans que je travaille dans le dessin animé, mais aussi un peu dans le jeu vidéo et l’illustration. J’ai touché à quasiment tous les postes : animation, design de personnages, lay-out, posing, story-board… Et ces dernières années j’ai supervisé l’animation de longs-métrages. Comme j’ai débuté alors que l’animation était entièrement analogique, j’ai pu observer trois bouleversements technologiques au cours de ma carrière. Il y a d’abord eu l’arrivée des ordinateurs destinés à l’animation 2D, puis l’émergence de l’image de synthèse 3D et maintenant l’I.A.

Actuellement, il y a peu travail en animation. Je me suis ainsi retrouvée un peu déprimée à force de perdre mon temps à démarcher des sociétés en vain, je commençais même à perdre le goût de dessiner. Et au début, j’étais contre l’I.A., notamment à cause du souci des droits d’auteurs même si c’est une question plus compliquée qu’il n’y parait, parce qu’on a tous, comme les I.A., notre propre réseau de références.

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Avant l’arrivée des ordinateurs, nous travaillions très souvent dans l’animation à partir de documents, comme des dictionnaires encyclopédiques qui pouvaient nous inspirer. Et par la suite, on a fait des recherches sur Google Image. Bref, il est rarissime que les gens dessinent sans référence.

J’ai donc finalement décidé d’apprendre la manipulation des générateurs I.A.. Au début c’était par pure curiosité, mais j’ai reçu beaucoup de retours positifs sur les premiers travaux que j’ai partagés. Et là, je suis devenue accroc. J’ai eu beaucoup de discussions avec des gens qui ont une dépression, des pensées suicidaires et qui retrouvent une vigueur avec les I.A. Il y a dans ces outils une énergie créative qui nous procure quelque chose de spécial.

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Dans ma carrière, je n’ai travaillé que sur des projets mignons, politiquement corrects et à destination des enfants. Or, j’ai parfois des idées poétiques mais pas franchement mignonnes. Et avec l’I.A. j’ai pu sortir toutes ces images assez rapidement, ce qui est très satisfaisant.

Au début, par exemple, je ne faisais que de gros personnages, une envie qui émane typiquement de la frustration de n’avoir fait que des projets mignons. Quelqu’un de gros est pourtant très intéressant à regarder, c’est même plus beau que des maigrichons. Cependant, je ne veux pas que mes créations choquent. Je veux surtout évoquer une émotion : faire rire, déranger, etc. C’est pour ça aussi que je travaille autant sur les contrastes, notamment entre la musique et les images.

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L’I.A. me propose souvent des résultats inattendus et moi j’adore les surprises. Quand les images sortent, je rie souvent toute seule ! J’ai toujours été hyper attentive au détail dans toute ma carrière professionnelle et cette tendance se confirme avec les I.A. : je suis notamment très regardante sur les erreurs produites par les générateurs. C’est encore incontournable mais je fais attention à bien les effacer ou, au contraire, à les assumer parce que je les trouve, par exemple, drôles. Il ne faudrait pas, d’ailleurs, que les générateurs deviennent trop parfaits, ils perdraient de leur intérêt. Ils sont encore bizarres, parfois sinistres et nous permettent de créer quelque chose d’unique qui n’est pas du live, pas de l’animation… C’est autre chose.

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Il est certain que les I.A. vont beaucoup affecter le monde de l’animation. La plupart de mes confrères sont d’ailleurs quasi tous anti I.A. J’en connais très peu qui s’en servent et quand ils l’utilisent, ça n’est que pour produire des images fixes, jamais des images en mouvement comme je peux le faire. Discuter de ce sujet aujourd’hui dans la communauté de l’animation est très compliqué, c’est comme parler de religion ou de politique. Mais c’est comme pour tout : tout le monde n’est pas un artiste, donc tout le monde ne peut pas produire des images intéressantes avec les I.A. »

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Image : © Roxanne Ducharme