CANNES 2024 · « On Becoming a Guinea Fowl » de Rungano Nyoni : la force de la pintade

[CRITIQUE] Le premier film zambien de l’histoire de la sélection cannoise, présenté à Un certain regard, démarre comme une comédie absurde avant de prendre un virage serré vers le drame. Et propose alors une charge puissante contre l’omerta qui pèse sur les victimes de violences incestueuses.


zkcstcol0zci9o40 onbecomingaguineafowl

Il est des films qu’on pourrait ne voir que pour leur titre. On Becoming a Guinea Fowl, présenté dans la sélection Un certain regard, en fait partie. À quoi s’attendre quand on se retrouve devant ce qui pourrait se traduire par « l’art de devenir une pintade » ? D’abord à une comédie un brin surréaliste lorsque surgit dans la nuit une conductrice encore ambiancée par une soirée, coiffée d’un étrange casque de strass et vêtue d’une énorme combinaison noire. Soudain, Shula s’arrête. Sur la route, un cadavre. Il s’agit de son oncle Fred. S’ensuivent trois conversations improbablement hilarantes, dont une avec Nsansa, la cousine de Schula, qui surgit ivre morte devant sa voiture.

Image : © Gabriel Gauchet

Image : © Gabriel Gauchet

C’est précisément une autre conversation avec Nsansa, toujours pas vraiment sobre, qui propulse soudain cette histoire de pintade dans une autre dimension. Car Nsansa se souvient, il y a des années, de l’oncle Fred dans une chambre, seul avec elle. Elle en parle en criant et en riant, sous les yeux effarés de Schula. Dès lors, la réalisatrice Rungano Nyoni plonge dans les méandres des violences intrafamiliales. Tandis que se prépare l’enterrement, Schula découvre l’ampleur des violences incestueuses qui se sont abattues sur ses proches. Le poids d’un patriarcat embrassé par tout le monde, y compris les femmes, qui a permis à l’oncle Fred d’agir à l’époque et d’être encore célébré aujourd’hui.

« I Am Not a Witch de Rungano Nyoni » : sorcière mal aimée

Rungano Nyoni n’a peur de rien. Ni d’un mélange des genres déconcertant, avec des visions hallucinées de maisons ou d’hôpitaux gagnés par les eaux entre deux scènes de pur drame social. Ni de prendre des chemins de traverse, sans grande confrontation ni explosion de rage. S’il semble parfois sur la retenue, On Becoming a Guinea Fowl est surtout un film d’une grande intelligence, conscient que la réalité n’a souvent pas besoin de d’artifices. Surtout quand elle ressemble à un dantesque conseil de famille lors duquel tout l’archaïsme misogyne dont la société est capable se débride. Et les pintades dans tout cela ? Un animal surprenant qui, pour échapper aux prédateurs, n’a d’autre option que de la jouer collectif et communiquer pour avertir ses congénères du danger.

ON BECOMING A GUINEA FOWL de Rungano NYONI, sorti le 16 mai

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2024.

Image : © A24