Fassbinder, Werner Schroeter, le cinéaste suisse Daniel Schmid : Ingrid Caven fut, pendant les années 1970, l’interprète, la complice, l’inspiratrice de ces trois cinéastes incontournables. Lors de l’ouverture de l’hommage que lui a consacré le FID Marseille fin juin (le festival co-édite l’ouvrage), la comédienne et chanteuse a rappelé combien l’érotisme a coloré ses relations avec ces cinéastes-compagnons.
Incarnation du todchic, cette beauté morbide qui puise dans l’esthétique de l’embaumement, Caven semble toujours entre deux mondes : entre la chanson et le cinéma, la France et l’Allemagne, le cinéma classique et l’avant-garde.
Son compagnon Jean-Jacques Schuhl, que l’on retrouve à deux reprises dans cet ouvrage, a fait d’elle le centre de son roman, sobrement intitulé Ingrid Caven, Prix Goncourt en 2000. Il rappelle qu’un hommage est toujours à double tranchant, qu’il peut graver dans le marbre celui qu’il honore.
Autour d’un grand entretien qui retranscrit la beauté de la pensée labile et enchevêtrée de l’actrice, Je suis une fiction dessine par fragments la carrière et la persona de l’artiste, avec des textes notamment de l’écrivaine Nathalie Léger, de l’universitaire Erika Balsom ou encore du critique Luc Chessel. Ce dernier déploie l’idée que la star qui a souvent interprété des vedettes de cabaret incarne presque une mise en abyme de l’actrice et de la femme : celle que l’homme met en scène. « Je ne suis pas un documentaire, je suis une fiction », clamait la comédienne interviewée en 2012 par un journaliste au sujet du documentaire Ingrid Caven, musique et voix de Bertrand Bonello (qui signe un texte à ce sujet). Plus forte que cette revendication portée par le titre du livre : l’idée qu’Ingrid Caven serait peut être la fiction toute entière.
Ingrid Caven. Je suis une fiction, Ouvrage collectif sous la direction de Cyril Neyrat, Corinnna Corinne et Giovanni Marchini Camia. Editions de l’œil, Collection One, Two, Many FID Marseille. Juin 2024.
Image : © LES ÉDITIONS DE L’ŒIL