I.A. QUOI ? ⸱ Noyés dans la masse

L’édito de Julien Dupuy. Parmi la myriade de problématiques que soulève l’émergence des I.A., l’une, pourtant primordiale, est rarement discutée. Et pour l’aborder, il faut déjà évoquer une dérive importante de l’industrie de la fiction audiovisuelle.


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Depuis déjà plusieurs décennies, le cinéma, la télévision et les plateformes de streaming produisent quotidiennement plus de contenu qu’il n’y a d’heures dans une journée. Ainsi en 2022, alors que le monde s’extirpait à peine du COVID, l’Europe avait généré environ 14 000 heures de fiction (hors animation) (lire cette étude de l’Observatoire européen de l’audiovisuel). Un chiffre vertigineux à mettre en regard avec les 8 760 heures qui contient une seule année. Et ce chiffre n’a fait que s’accroitre depuis.

Or, nous en avions déjà discuté ici, l’une des conséquences des outils basés sur l’I.A. est l’extrême démocratisation de la création audiovisuelle. Dans les prochaines années, il est probable que des artistes puissent, en toute autonomie et avec un budget ridicule, produire leur propre série, leur propre film. Mais comment parviendront-ils à atteindre le public ? Si les sites de partage se sont eux aussi démultipliés ces dernières années, rendant la diffusion d’une œuvre plus accessible qu’auparavant, comment parviendront-ils à se dissocier de la masse pour faire exister leur œuvre ?

Les critiques seront, peut-être plus encore qu’aujourd’hui, des guides indispensables pour orienter le public en saluant un talent émergeant. Et on peut imaginer que la seule qualité de certaines œuvres leur permette de se distinguer. Après tout, ce fut déjà le cas de certaines œuvres autoproduites, comme Le Visiteur du futur ou Marcel, le coquillage (avec ses chaussures). Ces deux séries ont connu un succès tel sur le net, que leur auteur, respectivement François Descraques et Dean Fleischer-Camp, ont pu réunir le financement pour porter leur création dans les salles obscures.

Mais c’est peut-être aussi sur ce point que les grands studios pourront encore justifier leur existence. Alors que le star system semble aujourd’hui totalement révolu et que les franchises à succès marquent le pas, ces énormes sociétés seront par contre en capacité d’accompagner leurs créations maisons d’une armada publicitaire suffisamment puissante pour singulariser leurs productions au sein d’une foultitude de propositions. Reste à savoir si le public ultra sollicité et, heureusement, encore imprévisible, sera sensible au seul argument publicitaire.

EN + Une éditorialiste du Guardian s’interroge sur les comportements du spectateur face à l’abondance de contenu (en anglais).

EN + Dans cet entretien accordé lors du dernier Festival Lumière, Wim Wenders explique que « Le grand mal de notre temps, c’est que nous avons trop de ce que nous aimons. On aime le cinéma, mais il y a trop de films.  (…) Il y a trop de tout et ça ne me rend pas heureux. »

I.A. PLAYLIST

L’acteur et producteur Ashton Kutcher a vanté les performances des I.A. génératives. Bien mal lui en a pris ! Quantité de célébrités, dont le créateur du cartoon Beavis et Butt-Head, ont publiquement dénoncé ses déclarations. Source : Deadline.

L’auteur de BD Lewis Trondheim vient d’annoncer sur Instagram qu’il retire la plupart de ses dessins des réseaux sociaux pour « éviter (…) que mon style de dessin soit absorbé par l’I.A. » Source : Instagram.

Cet article sur les effets spéciaux de Furiosa : A Mad Max Saga, explique l’utilisation de deepfake et des apprentissages profonds pour transformer peu à peu le visage de la jeune Alyla Browne en celui d’Anya Taylor-Joy, toutes deux interprètes du personnage éponyme.

Le passionnant Michel Guerrin s’interroge sur les nouveaux standards de beauté imposés par les I.A. génératives dans Le Monde. Nous avions déjà évoqué cette problématique dans cet édito.

Image : © Marcel The Movie LLC. Tous droits réservés.