Adam Bessa : « Si tu travailles vraiment, au bout d’un moment, tu deviens bon »

[PORTRAIT] Dans « Les Fantômes », l’acteur de 32 ans incarne Hamid, un réfugié syrien déterminé à retrouver son ancien bourreau. Un rôle, habité avec la fièvre de ceux qui savent que rien n’est jamais acquis, qui achève de l’ériger en grande révélation du cinéma français. Après un parcours plein de détours, Adam Bessa a embrassé la vie d’acteur comme on rentre dans les ordres, avec passion mais sans certitudes, déterminé à suivre son instinct. On a rencontré ce bloc de méthode et de travail au Festival de Cannes, sans arriver à percer totalement son mystère.


Les acteurs qui crèvent l’écran prennent toujours un risque lorsqu’ils en sortent : que la réalité les amenuise, d’une façon ou d’une autre, et que la rétine sans filtre ne rencontre jamais le magnétisme sublimé par la caméra. Quand il arrive sur la terrasse humide d’un grand hôtel cannois battue par la météo capricieuse, Adam Bessa n’a pas grand-chose à faire pour rester fidèle à l’image laissée par son rôle dans Les Fantômes. Le comédien, qui ne se laissera jamais engloutir dans son costume oversize prune à carreaux, a beau être infiniment loin de son personnage d’exilé syrien sans papiers, il en garde la même intériorité mystérieuse. Le même usage précis et économe des mots, aussi. Jonathan Millet, le réalisateur du film, le dit lui-même. Dans ce visage anguleux et ces yeux qui semblent devenir deux simples lignes noires dès qu’il rit, le cinéaste a perçu l’« intensité intérieure ».

LA MÉTHODE

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Cette intensité, Adam Bessa l’a mise tout entière au service de cette histoire qu’il n’avait « jamais lue avant ». « Il fallait tout recommencer à zéro. Apprendre l’arabe syrien, déjà. Ensuite, j’ai fait tout un travail de documentation sur la guerre civile et les prisons d’État syriennes. Cela a duré des mois. » L’effort, l’acteur de 32 ans a connu ça tout jeune, au centre de formation de l’AS Monaco, quand il rêvait encore d’être footballeur professionnel. « Cela m’a appris la discipline, la capacité à endurer. » La difficulté à être comparé à d’autres et à être refusé, aussi. « Derrière, quand tu arrives dans le cinéma, 80 %… enfin, non, 97 % du temps, au début, tu n’as que des refus. Il y a des gens que ça détruit. Moi, j’avais l’habitude, ça devenait presque un moteur. »

Dernier enseignement, et pas des moindres : « Très vite, on sait qu’on va devenir un produit, être monétisable et monétisé. Peu importe ton talent, ton art, tu seras toujours un portefeuille pour quelqu’un. » Pour passer des crampons aux plateaux de tournage, le natif de Grasse ne choisit pas la ligne droite. À la fin de l’adolescence, il lâche le football d’un coup. Plus d’envie, alors que c’était la seule chose qui comptait. « C’était hors de question pour moi de vivre une vie dans laquelle je me réveille chaque matin sans aimer ce que je fais. » Ensuite, il cherche. « Monte » à Paris, comme on dit, pour finir des études de droit, qu’il lâche aussi. Réalise que ce qu’il aime, c’est regarder des films. Il a construit sa cinéphilie comme il prépare aujourd’hui ses rôles : couche par couche, avec méthode. « J’ai commencé par les acteurs. J’en prenais un que j’aimais bien – Joaquin Phoenix, Leonardo DiCaprio, Daniel Day-Lewis, Gary Oldman, Meryl Streep –, et je regardais tous ses films. De là, je découvrais un réalisateur et je regardais tout ce qu’il avait fait. Après, j’adorais la lumière de tel film, donc je regardais le nom du chef-opérateur, et ainsi de suite. Petit à petit, une toile se tisse. »

« Le football m’a appris la discipline, la capacité à endurer. »

Quand on lui demande s’il ne serait pas un brin obsessionnel, Adam Bessa sourit. « Non, passionné plutôt. Quand j’aime, j’aime beaucoup. » Et quand il n’aime pas, ça se voit. À Paris, il tente des études d’art dramatique. « Ça n’était pas ma réalité, murmure l’acteur aujourd’hui, sans regret ni fatalisme. Mais, ce que je voyais dans les films, ça me plaisait. » Idéaliste ? Là encore, il corrige : « Pragmatique. » On en revient toujours à la même chose. « Je me réveillais le matin, et j’avais envie de faire ça. » Les castings manqués et les refus finissent par user, même quand on a l’habitude. Le besoin d’argent rattrape Adam Bessa, et avec lui le sud de la France. « J’ai bossé dans le bâtiment, j’ai été agent immobilier. J’ai pensé à la mode aussi, j’aime bien. » On comprend mieux comment il arrive à dompter le costume prune.

Le cinéma devient plus flou mais reste en ligne de mire, jusqu’au casting des Bienheureux de Sofia Djama. Un petit rôle qui change tout. À partir de là, tout s’enchaîne, dans toutes les directions. Adam Bessa fait partie de ces rares acteurs qui alternent les films d’auteur, comme le magnifique Harka de Lotfy Nathan, couronné du Prix de la meilleure performance de la sélection cannoise Un certain regard en 2022, et les superproductions américaines. Il a souvent été soldat, d’ailleurs, dans le film Mosul de Matthew Michael Carnahan, puis les deux Tyler Rake de Sam Hargrave. Inutile de lui demander de choisir entre les drames hantés et les blockbusters pétaradants.

« Il y a des gens pour qui il va être difficile de regarder Les Fantômes. Il y a un public qui travaille, qui n’a pas le temps d’aller au cinéma et qui préfère regarder des choses plus faciles, plus mainstream. Et s’ils t’aiment bien là-dedans, tu vas peut-être les ramener vers autre chose. J’aime bien faire le pont. Dire à certains d’être relax, de se laisser porter par du mainstream cool. Et dire à d’autres de faire l’effort pour se laisser porter quelque part et réfléchir. » En France, le grand public l’a rencontré dans la série Ourika, succès de Prime Video coproduit par Booba. Il y incarne le jeune fils d’une famille de narcotrafiquants, surdiplômé mais finalement rattrapé par le business familial. Un personnage qui partage, avec celui des Fantômes, ses contours flous

Quant à l’acteur, il aborde chaque nouveau projet de la même façon : en travaillant. « Créer, c’est très dur. Comme un artisan qui bosse tous les jours sur son truc, nous, on travaille sur nous-mêmes. Il y a des jours où on n’en peut plus. » Mais ne pas croire uniquement au génie a aussi quelque chose de galvanisant. « Si tu travailles vraiment, au bout d’un moment, tu deviens bon. » La suite, le trentenaire l’envisage comme le reste, en suivant l’appel du ventre et du cœur, « à l’instinct, quand ça se présente ». Le film historique ou la comédie restent encore des territoires inexplorés. « Mais une bonne comédie, précise-t-il immédiatement.

 Et on sait que c’est super dur. » On sent que les horizons sont plus larges que le simple jeu, et il nous le confirme. Avec un court métrage déjà coécrit, qu’il veut désormais coréaliser, l’appel de la musique, qu’il pratique déjà avec son groupe, Illi, aux croisements du cloud-rap et du R&B. Lui-même ne se voit plus seulement comme un acteur mais « un artiste ». « J’ai cherché pendant longtemps ce que j’étais. Maintenant, j’ai compris. Et je crois qu’il ne faut pas se tromper parce qu’après ça dure longtemps. »

Image : © Julien Liénard pour TROISCOULEURS