Carla et moi est un film assez insaisissable qui a quelque chose de très organique et joueur. Est-ce que c’est comme ça qu’il a été pensé, fabriqué ?
Nathan Silver a commencé par m’envoyer un traitement [une étape qui précède l’écriture de scénario, ndlr]. Il n’y avait pas de scénario mais un document de 40 pages. Il n’y a jamais eu de scénario. C’est sa façon à lui de faire des films. Il voulait développer ce document qui contenait l’histoire et les personnages et des éléments de l’intrigue rédigés en prose. Il a sa façon bien à lui de faire des films. C’est la seule méthode qu’il connaisse. Il recrute les acteurs, discutent avec eux de ce document, il les écoute et apporte les modifications qu’il juge nécessaire en fonction de ces discussions. Il continue ensuite à modifier ce traitement au fur et à mesure que le film se tourne, en fonction de ce qui se produit avec l’équipe sur le moment. C’était très étrange, je ne savais pas à quoi m’attendre.
Nathan Silver : « Pour s’en sortir dans la vie, il faut faire du désordre »
Qu’est ce qui était présent dès le départ dans le traitement d’origine et qu’est ce qui a changé ?
Ce qui a toujours été là, et qui m’a toujours beaucoup plu, c’était ce personnage qui essaie de chanter et qui n’y arrive pas, qui sort de la synagogue et s’allonge sur la route devant un camion dès le début du film. Beaucoup d’éléments ont changé en cours de route. Carla, par exemple, n’était pas sa professeure de musique à la base. C’était juste quelqu’un qu’il rencontrait par hasard. Il y a aussi une longue scène de dîner dans le film qui n’était pas très longue au départ et qui a pris de l’importance ensuite. On pouvait essayer plein de choses. On connaissait les personnages si bien qu’on pouvait s’amuser. C’était comme changer la disposition des meubles dans une pièce qu’on connaît par cœur et qu’on peut s’amuser à agencer d’une nouvelle façon. Tout est modulable, mais chaque meuble à son importance.
C’était un processus complètement nouveau pour vous ?
Oui, c’était la première fois que je travaillais comme ça. J’ai déjà pu faire de l’improvisation sur d’autres films. Pour Hunger Games [Hunger Games : La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, sorti en 2023, dans lequel il interprète Lucky Flickerman, l’animateur météo chargé de présenter les jeux, ndlr], Francis Lawrence [le réalisateur, ndlr] m’avait demandé d’imaginer à quoi ressemblerait l’émission que présente mon personnage. Donc ça ne concernait que moi, ce n’était pas une méthode appliquée au reste du casting.
Hunger Games : La Ballade du serpent et l’oiseau (2023)
Ici, c’était très différent. Je recevais les scènes le matin même. C’était très stimulant, très fun ! Et si on avait tourné en numérique [le film a été tourné en pellicule, ce qui lui donne un charme vintage, ndlr], on aurait juste tout filmé pour ensuite tout reconstruire au montage. Je ne regarde jamais le moniteur, ni les rushes de la veille. Je ne savais pas vraiment à quoi allait ressembler le film. Comme c’est de la pellicule et qu’en plus elle passe par tout un tas d’étapes en post-production, c’est difficile de savoir. J’aime qu’on ait dû prendre ces décisions sur le tournage. C’était à la fois stressant et assez fou comme façon de faire.
Sean Price Williams, le chef opérateur du film – qui a aussi été le chef opérateur de Good Time en 2017 et a réalisé son propre film, The Sweat East, en 2023 –, avait déjà travaillé avec vous sur Listen Up Philip. Il a une signature extrêmement reconnaissable, âpre, brute et pleine de folie. Comment avez-vous travaillé ensemble ici ?
Quand Nathan m’a proposé le film, j’étais le premier acteur à être embauché, mais Sean Price Williams faisait, lui, déjà partie du projet. Et sur un tournage c’est vraiment un acteur, il joue avec nous, sa caméra interagit avec les personnages au même titre que les autres acteurs présents dans le cadre. On pourrait d’ailleurs presque dire que ce film est raconté depuis le point de vue d’un personnage inconnu. Il réagit vraiment à ce qui se passe, avec beaucoup de spontanéité. Il y avait peu d’éclairage sur ce film et donc si vous décidiez de vous déplacer dans le décor, il pouvait vous suivre sans problème ! Ce qui est drôle aussi c’est de voir à quel point sa façon de filmer change à chaque prise. En général, ce sont les acteurs qui proposent des versions différentes d’une même scène, et la caméra, elle, va plutôt s’évertuer à perfectionner quelque chose, à arriver à la meilleure version de ce qui est prévu. Avec Sean, chaque prise est différente.
Trois projets dont vous êtes particulièrement fier ?
J’ai envie de dire CQ, qui a été réalisé par Roman Coppola [sur un jeune assistant-réalisateur qui se rend à Paris, dans les années 1960, pour participer au tournage d’un film de science-fiction, intitulé Dragonfly. Le film est sorti en 2002, ndlr]. Et je l’aime vraiment beaucoup parce que c’est un film très personnel et en même temps fantastique, qui explore l’imagination. Et je pense que c’est très… groovy.
J’ai fait une série qui s’appelle Bored to Death [dans laquelle il joue un écrivain qui se fait passer pour un détective privé, ndlr]. C’était sur HBO. Je l’ai faite pendant trois ans et c’était le plus beau moment de ma vie. J’ai adoré ça.
Coconut Records [il a sorti deux albums sous ce nom : Nighttiming et Goats, B.O. du film éponyme de Christopher Neil sorti en 2012, ndlr]. Je ne fais pas tellement la promotion de ma musique. Mais si on me disait que je ne pouvais plus en faire, je ne sais pas si je pourrais vivre. Donc oui, Coconut Records. J’ai fait deux albums et j’en prépare un pour l’année prochaine.
Image © Sean Price Williams/Sony Pictures Classics