« Golden Eighties » de Chantal Akerman : la mode au service des sentiments

L’étonnante comédie musicale de Chantal Akerman revient au cinéma dans le cadre d’une rétrospective de seize de ses films. L’occasion de faire un point mode sur ce long métrage fabuleux, qui utilise l’esthétique colorée des années 1980 pour faire affleurer l’intériorité des ses personnages en mal d’amour.


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Plan fixe sur le sol, des pieds s’engagent dans le champ. Deux, puis quatre, puis dix, puis une vingtaine et encore d’autres, comme un défilé de pieds élégamment chaussés. Sur talons où à plat, les clientes et employées du centre commercial vont et viennent à toute vitesse, pressées d’arriver au travail, d’acheter la nouvelle robe, le nouveau tailleur à la mode, impatiente de tomber dans les bras d’un jeune vendeur au charme fou. Comédie musicale à la légèreté sans niaiserie, Golden Eighties est un régal pour les passionnés du genre. Dans ce huis clos situé sous une galerie marchande imaginaire, Chantal Akerman décortique, à coup de chansons drolatiques et bien ficelées, la vie d’une poignée de gens aux amours contrariés.

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Aussi on retrouve là Mado (la chanteuse Lio), en robe col tailleur couleur mandarine, désespérément amoureuse de Robert (Nicolas Tronc), le beau gosse au bombers qui ne veut pas d’elle puisqu’il aime Lili (Fanny Cottençon), la patronne du salon de coiffure à la robe rouge désir, qui elle ne l’aime pas.

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Au jeu du chat et de la souris, motif classique du triangle amoureux, se soustrait une bande de garçons, traînant dans les couloirs en complets dépareillés, avec cravates et chemises cols pelle à tarte hérités des années 1970. Mais aussi la troupe des filles, cette armée de coiffeuses qui, laques et peignes en mains, font virevolter leurs jupes bleues satinées et qui, sous leurs débardeurs multicolores, n’ont pas peur d’abandonner le soutien-gorge.

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Tels les chœurs antiques hyper fashion du film, ces groupes de jeunes à la raillerie enfantine commentent l’action et la situation amoureuse désespérée de leurs petits camarades. 

À cette jeunesse qui aime et le dit haut et fort s’oppose le personnage de Jeanne Schwartz, la mère de Robert. Dans son tailleur bleu nuit au col claudine très sage, la directrice de la boutique “Elégance” incarnée par Delphine Seyrig n’appartient en rien à l’énergisante folie qui l’entoure. C’est une femme mesurée, admirable, respectée de tous. Mais quand Jeanne retrouve par hasard dans sa boutique un ancien amant américain qu’elle a follement aimé, la stabilité qui était la sienne s’effondre. Le lendemain, la robe austère qu’elle porte s’égaye soudainement d’une fleur blanche à la boutonnière du col, message discret pour dire que l’amour, même enfoui au plus profond, peut refleurir à chaque instant. 

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“Et si moi je ne veux plaire à personne ?” dira une jeune cliente de la boutique à Robert devant ses conseils mal venus. Qui est-il pour lui dire si oui ou non, cette jupe est convenable pour elle ? En montrant la jeune femme s’enfuir à toute vitesse dans la galerie, Akerman l’étreint de son regard féministe. Certes l’amour et le désir sont au cœur du film, mais ils ne doivent jamais conduire à l’aliénation, à l’injonction. Tout est question de choix. Qu’ils soient bons ou non, ils nous appartiennent et nous définissent en tant qu’individu.

Avec cette comédie joyeuse et optimiste, Chantal Akerman voile les eighties, cet « âge d’or de la mode » synonyme de couleurs et d’excès, d’une délicieuse nostalgie. La réalisatrice s’empare ainsi de l’esthétique 80, et loin de la voir comme superficielle s’en sert pour parler de ses personnages et de leurs états d’âmes. Une façon nouvelle de voir le vêtement et d’utiliser ses préjugés pour mieux s’en échapper !

Image © Fondation Chantal Akerman